Préquel (3)

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--Bon et sinon, lâche-t-il enfin, puisque tu ne viens pas juste pour essayer d'évaluer la taille de ma bite, quelle est la raison de ton intérêt soudain pour ma personne ? C'est pas comme si t'avais pas eu six années pour t'y mettre.

Je ne peux pas m'empêcher de rire de sa réplique. Je pensais avoir affaire à un mec trop sage mais apparemment, il a une langue fourchue et décomplexée ! Je vais utiliser le peu que j'ai appris de lui hier et aujourd'hui pour améliorer son regard sur moi.

– Eh bien, je ne voulais pas me contenter des qu'en-dira-t-on. Mais c'est indéniable que tu es vu comme différent des autres gars de notre année. Je suis juste curieuse. Ca me fascine, les cas d'étude. Je veux me diriger vers des études d'assistance en psycho, tu peux demander aux autres, j'en ai déjà parlé à certains. Normal que je m'intéresse à toi, non ?

--Un cas d'études, hein ? Répète-t-il avec un tsunami de cynisme qui vaut bien toutes les vagues précédentes. Je suis pas très chaud pour te servir de cobaye, Sandra. J'aime ma petite vie comme elle est. Si un jour j'ai besoin d'un psy, je ne lui demanderai pas de venir me trouver après les cours tous les jours. Ca, tu vois, c'est plutôt le rôle d'une petite amie. Mais tu ne sais pas très bien ce que c'est, d'après ce que j'ai cru comprendre.

--Tu es encore en train de me juger sur base de rumeurs, Victor ?

Il répond à mon sourire mielleux.

--Non non, je suis juste dans ta classe depuis quelques années, je ne t'ai jamais vu parler de petit ami... par contre, j'ai des amis de l'école qui m'ont raconté certains trucs vécus en ta compagnie. Oh non ! Pas de détails pervers, ajoute-t-il en me voyant reprendre du rouge aux joues. Mais tu ne m'as pas l'air très... stable.

--OK, tu me prends pour une nympho.

– N'exagère pas. Mais je suis sérieux, ça ne me tente pas de te servir de cobaye.

– Tu n'aimes pas la psychologie ?

- J'a-dore-ça. Tes essais pour m'analyser, ça m'amuse. Moi tu vois, je compte étudier dans la publicité. On reste dans les plaisirs de la manipulation fine, n'est-ce pas ? Je veux l'étudier parce qu'elle est mon ennemie. Et toi ? Pourquoi la psycho ?

Je ravale ma salive. Je crois que c'est la première fois que je baisse les yeux devant lui, mais j'ai besoin de m'armer de courage pour donner un semblant de réponse. Il me frôle le coeur de trop près. En a-t-il conscience ? Pas sûr. S'il connaissait ma famille, il n'aurait pas besoin de me poser pareille question.

– Disons que... j'ai envie de comprendre comment certaines personnes peuvent devenir plus méchantes ou déviantes. Si je pouvais un peu... décoder tout ça, peut-être que j'empêcherai ces gens-là de mal tourner. Tu vois, je ne suis pas une psy dégueulasse, je prendrai soin de mes futurs patients.

Je sauve ma face avec un petit clin d'oeil. Mais il va encore parvenir à me faire retomber dans mon trou intérieur, je parie. La pub hein ? Ouais, je l'y vois bien. Des fois derrière la caméra, des fois devant... J'ai l'impression qu'il m'ausculte de loin comme un panneau loué par Clearchannel et c'est assez dérangeant.

– Eh bien, c'est tout le bien que je souhaite à tes futurs patients, mais je n'en ferai pas partie. A moins que...

– A moins que quoi ? Rebondis-je aussitôt, ragaillardie par la brèche.

Il serre les bras et redevient sérieux. Ce type change d'attitude comme de chemise !

– A moins que tu ne me révèles le contenu réel de ton pari.

– Quoi ?

– Tu mens très mal, Sandra. Ou je décode très bien. Choisis l'option que tu veux.

J'ai l'impression que mes démarches précédentes n'ont servi à rien, c'est désespérant. Ca l'est d'autant plus qu'il soupire encore, se referme, finissant sa bière en me jaugeant une nouvelle fois. Pourquoi ? Pourquoi est-il si insensible à mes charmes et moi si sensible aux siens ? C'est un goujat qui se fout de ma gueule ! On dirait en effet qu'il analyse bien derrière les apparences. S'il considère les publicités comme des ennemies, pas étonnant...

--Tu ne dis plus rien ?

Enfonçage de clou en règle. Je me crispe de colère comme une môme devant une injustice qui ferait mieux de la boucler néanmoins. Avouer mon pari, ce serait avouer ce qu'il ne veut pas entendre.

– Non. C'est du chantage, je ne joue pas à ce jeu-là.

– Haha ! Ce serait bien le premier ! Bon allez, arrêtons là les frais. J'sais pas ce que tu traficotes avec tes copines, mais je ne veux pas être mêlé à ta bande et à vos petites affaires internes. Je n'ai pas l'impression que... comment dire ? Nous ayons les mêmes conceptions des choses.

Il se lève pour aller porter sa bière au bar et régler sa commande. Je pivote vers lui, mais ce rustre ne me regarde même plus, le temps d'enfiler sa veste et de s'emparer de son sac. Il récupère sa monnaie, toujours en m'ignorant... C'en est trop !

– Quoi, tu me laisses là ? Putain mais j'ai rien fait de mal, bordel ! Si c'est comme ça que tu traites les nanas qui t'approchent à peine, pas étonnant qu'on finisse par se demander si t'es pas juste un puceau qui s'assume pas !

Mon cri l'oblige revenir vers moi, sous les yeux écarquillés de la serveuse, à qui je hurlerais bien de se mêler de ses oignons. Lorsque le grand gaillard se plante devant moi, la respiration forte et les yeux chargés d'éclairs, je tressaute. Il a serré le poing et cela enserre mon coeur. Mais il reste de marbre, son ton est sourd, même chargé de rage.

– Continue à croire les rumeurs comme une petite conne si tu y tiens, Sandra. T'as pas l'air débile, mais tu te gâches la vie. On n'a clairement pas les mêmes valeurs. Après, c'est mon avis. J'ai le droit de l'avoir et j'ai aussi le droit de ne pas me justifier de ça, comme t'as le droit de rien m'avouer de tes véritables intentions. Mais après, faut assumer ses dires. Ou ses non-dits. Tu sais ce que j'aime pas, chez les psys ? Ils veulent toujours tout savoir de toi, mais toi, t'as jamais le droit de savoir tout ce qu'eux sont en train de se dire à ton sujet. Je ne veux pas de ce faux dialogue où tu voudrais que je te suive aveuglément. Va draguer les crédules. Moi, y a que les relations sérieuses qui m'intéressent. Tu sais... celles que tu connais pas !

Après avoir éructé la fin de sa phrase cassante, il se casse, si vite que j'ai pas le temps de répondre. Encore furieuse, je me rends auprès de la serveuse pour régler la note à mon tour.

– Inutile mademoiselle, il a tout payé.

Quoi ? Alors qu'il vient de... de me... mais... ce mec est une énigme que même Einstein et Freud réunis ne résoudraient pas !

« Quel gâchis ! Elle n'a pas l'air d'une sotte mais c'est comme si elle était fière de se montrer ainsi, c'est une bizarre. Je ferais mieux de la tenir à distance. J'ai été un peu vache avec elle avant de partir, mais elle a tellement le profil des filles qui sont juste détestables. Je ne sais pas si je dois l'apprécier, la haïr ou la plaindre. »

Pour toujours ou jamais (édité, nouveau titre : (N)Ever !)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant