Préquel (4)

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J'ai fait une erreur. J'ai perdu de vue qu'il appréciait tant l'honnêteté. Après, c'est clair que je ne pouvais pas lui dire « Oh ben en fait le pari c'est qu'on baise. Alors, après le cinéma, est-ce que... ? ». Le résultat aurait été le même : il se serait barré après avoir étalé un discours de grand politicien décalé du reste du monde. Je comprends qu'il veuille des « relations sérieuses » mais franchement, pourquoi l'un empêcherait l'autre ? Il m'a si bien décodée, vendredi... Je ne sais pas comment je vais le convaincre d'une bonne foi qui n'est pas là. Peut-être devrais-je avouer des trucs cools mais vrais à son sujet. Qu'il est diablement intelligent, en plus d'être splendide ? Qu'en vrai je me fous vraiment complètement de la taille de son cinquième membre ? Parce que bon, ce qui compte, c'est la manière de l'employer ! Oh Sandra, arrête tes réflexions salaces, ça ne va pas fonctionner avec lui !

Nous sommes de nouveau à l'école et je veille à ignorer Victor. Je vais laisser couler, histoire qu'il se détende à ma vue. Le peu que je lui ai jeté comme coups d'oeil m'a fait comprendre à quel point il se méfiait de moi. On arrive au mois de juin et bientôt, ce seront les examens. Les révisions commencent, chaque jour je reviens avec de quoi bosser jusqu'au souper au moins. La dernière semaine de révisions, je remarque qu'il a oublié son sac de gym et m'en empare vite avant qu'un autre ne le voit. Mes copines rient sous cape en comprenant que j'ai là l'occasion rêvée de trouver innocemment où il habite. Je le suis, sans le lâcher une seconde du regard. Ici dans les rues du vieux Namur, c'est l'horreur pour pister quelqu'un à la sortie des écoles secondaires. Tout le monde fonce vers les arrêts de bus de la ville en occupant chaque pavé des petites rues du centre. Heureusement, Victor est une asperge qui dépasse les trois-quarts des étudiants. Il prend le bus 8. Plus de doute : Jambes est son fief.

Ce bus est bon-dé. L'air y est rare malgré les auvents ouverts. Je fous quelques coups d'épaules bien placés pour m'approcher de ma cible, mais discrètement. Il descend au premier arrêt après le pont et par chance, nous sommes loin d'être les deux seuls passagers à quitter le véhicule. Il emprunte la rue Mazy et je le vois sortir les clés de sa poche. Quand il s'apprête à ouvrir la porte d'une maisonnette, je me lance sur la scène pour un nouvel acte.

– Hey Viiiictoor !

D'abord stupéfait, ensuite maussade, il reste sur le seuil en attendant que je le rejoigne, son sac au bout du bras.

--Que fais-tu là, Sandra ? Maugrée-t-il.

Encore ce regard sévère et sexy à la fois ! Je peux m'approcher ? Hein ? Tant pis je le fais : Monsieur Stoïque n'a que ce qu'il mérite. Ma tronche se plante près de son menton pendant que je tends le sac en battant des cils exagérément et en adoptant une voix fluette narquoise :

– Oh bonjour Sandra ! Quelle gentillesse, tu m'as ramené le sac que j'avais oublié en classe ? T'es trop sympa ! Tu vois, dis-je plus posément, c'est comme ça qu'il faut répondre, normalement.

– Et t'as eu besoin de me pister jusqu'à chez moi pour le rendre, bien sûr !

– T'as filé en rue, en plus y avait plein de monde, je t'ai appelé mais t'entendais rien, j'y peux quelque chose ?

– Et pourquoi tu n'as pas attendu de me le rendre simplement demain ?

Oh mais il est agaçant, ce sceptique ! Tu veux de la franchise ? Je vais t'en foutre, moi ! Je soupire pour ne rien cacher de mon exaspération et il marque un recul en croisant mon regard. Ouais, moi aussi je peux faire des oeillades de la mort qui tue !

– Ecoute, j'aime bien moi, faire quelque chose avant de rentrer chez moi. J'y tiens pas tant que ça, à mon nid douillet, et ça ne m'a jamais empêché de réussir mes années. Alors pourquoi je m'empêcherais de venir te le rendre ? On s'est quittés énervés la dernière fois, je n'aimerais pas qu'on reste sur cette engueulade. J'ai vu ton sac oublié, c'était un peu l'occasion de calmer le jeu, non ? Arrête de me regarder comme une sortie de tôle quand je viens de te rendre service, enfin ! C'est blessant, merde !

Tout à coup, je vois ses traits se détendre. Mais pas pour rigoler, non, encore heureux, sinon je pense que ma droite aurait du mal à se retenir de voler. Aurait-il compris que je ne plaisante pas du tout, là ? Sa voix se pose, à un niveau assez délicieux pour mes oreilles, d'ailleurs. Que ça fait du bien de côtoyer des garçons dont les voix ont mué !

– C'est vrai. Pardon. Je m'en veux un peu aussi pour... l'autre fois. Merci d'avoir ramené mon sac de sport, maintenant, faut que je révise, alors...

--Tu veux que je t'y aide ?

Je l'ai dit spontanément, sans laisser croire au moindre calcul. Je pense qu'il hésite, mais sa réponse vient plus vite que mes espérances.

– Non, c'est bon. J'aime bien bosser seul. Et je voudrais que tu ne me suives plus comme ça.

– OK. Mais je pourrai une fois juste boire un verre avec toi dans ta cuisine, ou je suis personna non grata chez toi à cause de mes... valeurs ?

Pour une fois que mes cours de latin me servent à quelque chose... Il regarde sa porte, puis moi... puis encore sa porte... et vide son thorax bien entretenu en fixant le sol.

– Je suis... pas du genre à inviter des gens chez moi, marmonne-t-il. Si je te fais entrer, ma mère va s'imaginer tout de suite des trucs. J'ai quelques amies tu sais et elle ne viennent jamais chez moi, c'est moi qui vais chez elles parfois. Je préférerais pas, ça...

– Ca va ça va, te fatigue pas, grogné-je, t'es en train de te dire que je vais te sauter dessus dès que t'auras le dos tourné. C'est bon, j'ai mon étiquette sur le front, pour un qui avait l'air de se plaindre des jugements hâtifs, t'en es un bon représentant.

Moi aussi je peux me barrer après une réplique badass, qu'est-ce qu'il croit ? Je tourne les talons en affichant un air bougon, en croisant les doigts pour que ça ne le laisse pas de marbre.

--Sandra ! J'ai pas dit ça, je crois pas que tu ferais un truc pareil !

– OK, alors à demain ! Lancé-je sans me retourner.

– Non ! Mais... j'ai pas dit que tu rentrerais dedans dès demain !

Je feins de ne pas l'avoir entendu, ça sera peut-être efficace ainsi.

Mais le lendemain, quand je me plante devant chez lui avant qu'il ne revienne de sa salle de sports, il résiste.

– Ne me dis pas que tu m'as attendu juste pour entrer chez moi ?

– Si.

Il passe sa main aux jointures carrées le long de son visage las.

– T'es folle. Complètement. C'est pas méchamment mais sérieux, je ne vois pas en quoi c'est important de rentrer chez moi, j'ai l'impression que tu cherches à me dérober un truc pour ton pari. Ne reviens plus, t'es trop tordue. J'ai pas assez confiance en toi.

– Pff ! N'importe quoi !

– Si tu me disais ce qu'était ton pari, peut-être que je reverrais mes positions ?

Oh le... ! Je ne pensais pas trouver pire tête de mule que moi, mais me voilà démentie par Monsieur Victor Klein, l'homme qui n'en démord jamais ! Il me laisse moisir dans mon silence et passe la porte. Je l'entends même la refermer à clé à doubles tours. Je ne me laisserai pas faire ! Le lendemain, rebelote : inutile de l'attendre au sport pour qu'il traîne en longueur ses efforts jusqu'à pas d'heure, avec un peu d'insistance, je parviendrai bien à m'immiscer dans sa vie quotidienne et acquérir sa confiance. Enfin, je le croyais.

– Non !

– Pourquoiii ?

– Je peux te retourner la question ! Je t'avais dit de ne pas revenir ! Tu sais quoi ? Suis-moi.

Pour toujours ou jamais (édité, nouveau titre : (N)Ever !)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant