Normandie, été 2014
Le camp, Eurojam, 12 000 personnes. Un terrain immense, de la boue, de la pluie, l'Église au-dessus de tout, et la patrouille. Des petites, des grandes et des amies surtout. Des vraies. Celles qui t'ont vu souffrir, rire, vomir, te battre, perdre, gagner et vivre surtout.
Il y a A.
A, tu l'aime et tu l'admire pour ce qu'elle est, pour qui elle veut être et parce que c'est comme ça depuis des années, vous vous êtes choisies. Elle a le plus beau sourire du monde et un cœur tellement brillant qu'il lui sort des yeux. C'est une vraie amie, un diamant pur et brut sortie de terre pour te montrer le monde sous sa face la plus belle.
Il y a J, aussi. Râleuse, fière, maladroite, écrivaine de chansons de génie, flemmarde de service et fan de Keen'v. Elle te sort par les trous de nez, mais elle te fait rire. Cet été-là, sa famille de catholique l'a laissé partir avec vous. Cet été-là, comme toi, elle est tombée amoureuse. Et cet été-là, comme toi, elle va souffrir du syndrome de la passion à sens unique.
J. avait ce quelque chose de dansant et d'animal qu'on les jeunes lionnes. Des cheveux noirs et une peau brune fait pour briller au soleil. Une peau à paillettes et des cheveux pour tournoyer sur de la techno (sans transpirer) à 4 heure du matin. Cet été-là, elle faisait plutôt la lionne perdue et affamée. Elle arborait de vieilles bottes Aigles élimées et un pull bleu marine plein de poussière. Son mascara coulait sur ses joues dorées et elle râlait contre ses cheveux sales.
Temps de misère au pays des enfants de la bonne vieille France. Blasphème dans les allées boueuses du camp et sous les toiles de tentes canadiennes. Au milieu des bois normands, la révolte grondait entre deux messes.
J. était contre sa famille. J. était contre son éducation. J. se rebellait et J. aima une fille. Elle aima comme on aime quand on ne sait pas quoi faire. Elle aima la rébellion d'aimer. Elle aima une fille comme on croit retrouver un vieux bijou perdu. Elle n'y croyait qu'un peu et de plus en plus au fils des jours.
Elle m'appelait « mein Engel ». Mon ange
Elle tressait mes cheveux et m'observais le soir dans la lueur orange du feu.
Elle me trouvait belle et me le chuchotais quand personne n'y faisait attention.
Un matin, je me réveillai les lèvres contre son épaule nue, les mains dans sa chevelure de nuit et le nom de C. coincé dans la gorge. J'avais les grains de beauté encore collés à la rétine et les cheveux de feu plein le cou, relent d'un rêve ultra-réaliste, alors que je me glissais en dehors de la tente. Le froid glacial qui brûla mes poumons ce matin-là m'appris quatre choses.
Un. Elle était amoureuse. D'une fille.
Deux. De moi.
Trois. J'étais amoureuse. D'une fille.
Quatre. Pas d'elle.
Le pire de l'histoire, c'était qu'elles se ressemblaient. Deux chieuses qui faisaient les fières, deux statues de marbre aux cœurs bien loin sous la peau.
Comment décrire la suite d'une histoire semblable ? J'avais l'impression de me retrouver dans un épisode extrêmement raté de Plus belle la Vie, comme si Dieu, Allah, Yahvé et les esprits de mes ancêtres avaient décidé d'un commun accord que ma vie n'était pas assez compliquée comme ça.
J'allais passer un des meilleurs été de ma vie sous la pluie, à gueuler dans la nuit des chansons qui ne voulaient rien dire, à essayer de m'intégrer une religion qui me rejetait comme un organe étranger, à manger des pâtes mal cuites, écraser des limaces grosses comme le pouce sous mes bottes en caoutchouc. Et rêver, aimer, désirer, comme une folle. Épicure se serait foutu de ma gueule : la fille de 16 ans qui aime déjà comme une sainte, avec la dévotion d'une pécheresse. Et à croire en un dieu qui je l'espérais, ne me détestait pas trop.
Quand elle me serra dans ses bras, le dernier jour, mon tout mon être la repoussa violemment. Le poids des non-dits lui fit autant de mal qu'à moi. Lorsque je la vit s'éloigner sur le parking, les yeux collés sur les miens aveugles, j'avais mal pour elle. Sa douleur me rappelait la mienne et toutes les deux, nous souffrions en silence.
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Ethan
Kısa HikayeC2H6O de son nom scientifique. Ethanol. Alcool. Booze. алкаголь. Ce n'était que le catalyseur des sentiments. Tout étant, ce soir là, mon sang était propre et j'avais le cerveau clair.