Je te vois

C h a p i t r e 1

Chap 1

Un adolescent regarde par la fenêtre, ses yeux verts reflètent la verdure du fabuleux jardin. Son jardin. Tout ça le calme. En réalité, il est un jeune homme naturellement calme. Le plus calme de sa classe sans doute, même de sa famille, mais ce n'est pas très compliqué: il est le seul garçon. Sans compter son père évidemment.

Si sa mère entrait maintenant dans sa chambre, elle aurait dit que les yeux du jeune homme étaient verts de tranquillité; sa mère adore le fait que chaque chose dans la vie ait une couleur. Cora aime les couleurs presque autant que Viktor aime la vie. Une vie faite de bleu et violet.

Mais sa mère ne rentrera pas dans sa chambre pour la simple et bonne raison qu'elle était dans son atelier, au fond du jardin, à peindre des toiles, là où l'adolescent aime beaucoup passer son temps libre pour la regarder travailler.

Et c'est comme ça toute la journée, surtout les week-ends: Viktor reste devant cette fenêtre, regarde le jardin aussi vert que ses yeux lorsqu'il ne ressent aucun stress, et imprime de belles choses qu'il colle dans un carnet ensuite.

Son carnet de Belles Choses. Quand il était petit, il avait l'habitude de toujours tout trouver beau, et d'exprimer son ressenti, sûrement un réflexe dû à sa mère. Ce n'était pas un problème, jusqu'au jour où il avait décidé de ramener chez lui tout ce qu'il aimait. À l'âge de 9 ans, Viktor Vulkain avait dans sa chambre, un bouquet de roses rouges sur sa table, un bocal de plumes d'oiseaux près de sa fenêtre pour ne pas qu'elles se sentent trop seules, sans ciel. Des cailloux noirs sur une étagère et une reproduction de la couronne de Louis XIV qu'il avait achetée avec ses premières économies. Il aime la mettre, même si elle tombe un peu sur ses yeux à cause de la taille.

Son lit , grand moelleux et aussi blanc et pure qu'une colombe avait été acheté suite à un de ses caprices. Viktor a toujours été l'enfant capricieux de la famille. Mais il ne l'a jamais regretté. Parce que maintenant, le bouclé adore rêvasser dans sa chambre, et surtout sur son lit-colombe, en regardant le jardin par la fenêtre décorée de jolis rideaux blancs.

Il se détourne de la fenêtre et jette un coup d'oeil sur la couronne, posée sur un secrétaire, lui aussi une réplique de Louis XIV, dans un bois sombre, avec de nombreux tiroirs. Son téléphone fait vibrer le meuble dans un bruit sourd. Il le saisit avant même de voir le nom de l'appel, il décroche en passant la main dans ses cheveux bouclés. Ceux-là sont longs, mais Harmonie les trouve beaux et brillants, alors il n'ose rien faire, car il fait confiance à sa soeur ainée.

-Oui ? Commence Viktor.

-Mum t'attends en bas Vik', c'est ton tour de cuisine aujourd'hui.

Viktor, aussi loin qu'il s'en souvienne, a toujours aimé la voix douce et chantante de Katarzyna, que la famille Vulkain surnomme avec amour Katy ou Kat, en raison de son chat qu'elle ne quitte jamais. Un mâle répondant au doux nom de Echo. Katarzyna, la plus jeune fille de la famille, probablement la plus silencieuse et discrète. Pourtant, cinq ans plus tôt, elle a osé fuguer de la maison familiale pour retrouver ce chat qu'elle aimait tant. Finalement, le pelage de pluie du chat, ressemblant tellement aux iris de la jeune fille avait fait craquer les parents, qui ont fini par accepter d'adopter ce petit animal.

Ayant une chambre au troisième étage, Viktor descend les nombreuses marches de la vieille maison avec une certaine fatigue: il est loin d'être sportif, avec son corps mince et ses longues jambes. Il se retourne à plusieurs reprises, depuis ce matin il se sent comme observé. Mais ce n'est qu'Echo, ce chat gris qui ne l'apprécie pas.

Les marches grincent, elles sont vieilles, elles sont nombreuses. Elles sont même carrément belles. Il passe sa main sur la rampe en bois, à certaines intervalles des autocollants sont collés autours des barreaux. Ses soeurs et lui ont fait beaucoup de bêtises plus jeunes. Leur collection d'autocollant y est passée.

Le benjamin de la famille Vulkain arrive dans la cuisine, il sait ce qu'il doit faire, éplucher des légumes. Aujourd'hui cette corvée revient à Viktor, comme tous les dimanches. Dans les familles nombreuses, les repas sont préparés en grande quantité, et selon Cora, la nourriture est très importante pour une vie équilibrée, manger sainement est une de ses priorités, ce qui n'est pas très apprécié par certains enfants (et le père) qui favorisent les plats à base de viandes rouges.

Mais quelle personne saine d'esprit aurait remit en cause les choix de Madame Vulkain ? 

-Vik, va appeler tes soeurs s'il te plait, c'est presque prêt.

Le jeune Vulkain acquiesce, il sort de la cuisine et se dirige d'un pas souple vers le couloir pastel. Il continue sa marche et se stoppe sous les escaliers. Il frappe deux fois et une petite trappe de la taille de sa main, s'ouvre en grand. À l'intérieur est soigneusement posé un dispositif complexe créé par Hestia, la troisième de la famille.  Un petit buzzer noir est relié par de nombreux câbles, partant dans tout les sens et disparaissant dans le reste de l'escalier. Ce dernier sert à éviter de crier pour prévenir les membres de la famille que le repas est prêt.

Il tape violemment le bouton pendant cinq secondes, des râlements se font entendre et quelques instants plus tard, toutes les filles dévalent les escaliers. Viktor se retourne, il a de nouveau cette impression d'être fixé. Encore ce chat ?

En un temps record, la famille nombreuse se retrouve attablée dans un ordre précis, du plus vieux au plus jeune, et c'est forcement le bouclé qui se retrouve au bout, étant le plus jeune. 

Une matinée normale en définition pour les Vulkain.