Imprégnation

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Louis s'est levé pendant la nuit. Ses pas semblent hésitants. Il se mouve lentement, non sans quelques tremblements de ses membres, et chaque avancée donne l'impression qu'il va flancher. Il passe devant la salle de bain, dont la porte est fermée, et s'y arrête. La poignée est à peine visible dans l'obscurité du couloir, tout comme le petit meuble entre la salle d'eau et l'entrée ; seule sa silhouette sombre arrive à se dessiner dans le noir. Il reste immobile, le regard fixé sur l'obstacle qui se présente face à lui. Ses yeux sont perdus dans un néant fictif, peut-être celui de son esprit, et on ne peut aucunement prévoir la suite : va-t-il ouvrir ou partir ? Ses genoux, à peine pliés, ainsi que ses bras ballants lui donnent une allure de pantin. Son dos courbé laisse tomber ses omoplates vers l'avant, sa nuque tire sa colonne. Le seul grand effort observable est au niveau de sa tête maintenue droite. Ses paupières sont détendues, ainsi que sa lèvre inférieure. Si sa cage thoracique ne se soulevait pas de temps à autre, Louis donnerait l'impression de ne pas respirer.

Le battement de ses cils aurait pu briser le silence de la maison, mais le son est à la limite de l'imperceptible. Puis, son gros orteil craque. Louis a pivoté sur la droite, sans se déloger de son emplacement. Son poignet droit soulève sa main lourde et la pose subtilement sur la poignée. Un frisson prend son corps lorsque sa paume aspire le froid que dégage le métal. Elle est abaissée, il suffit alors d'un peu de force pour pousser l'énorme planche de bois et enfin pénétrer dans la pièce, mais il reste encore une fois tout à fait immobile.

Dehors, une pluie diluvienne abat les environs sans contourner la maison. De nombreuses perles d'eau claquent les vitres à un rythme des plus irréguliers. Le vent, associé à la machinerie de ce mauvais temps, est d'une telle violence que les arbres luttent pour ne pas être dénudés. Le fracas des averses sont surplombées par un déchirement assourdissant : le tonnerre. Il fait presque jour ; les éclairs illuminent le paysage à de nombreuses reprises. Il fait froid sur ce morceau de Terre.

Louis est entré. Le miroir, accroché au-dessus des deux lavabos, porte une vapeur chaude. Le robinet de la baignoire pleure ; un écoulement d'eau incessant et des grincements quelque part en-dessous. La plomberie se fait vieille.

Il retire ses vêtements dans une tendresse exagérée : ses mains frôlent sa taille à la manière d'une femme, le tissu caresse son échine dans une infime douceur. Son caleçon glisse sur ses genoux, puis sur ses chevilles, de sorte qu'il finisse tout à fait nu. Son pied gauche est le premier à enjamber le résidu et il touche l'eau brûlante. Le droit suit. Il agrippe les bords de ses mains et plonge ses fesses dans son bain sûrement impatient : Louis ne peut pas plus savourer la sensation de la brûlure liquide sur sa peau. Ses mollets, son ventre et son dos sont les prochains à se noyer. Un soupir de plaisir déborde de ses lèvres et son dos embrasse la pente de la baignoire. Enfin, tous ses muscles se détendent et il ferme les yeux, son menton pointant le plafond.

Sa main se fait tête de serpent. Elle rampe sur son torse, rejoint le carrefour de son nombril. L'index glisse autour, avant de se raccrocher aux autres doigts. Ensemble, ils longent sa hanche et parcourent une partie de sa cuisse. Il ne fait rien d'autre. Sa main tombe, morte, dans un bruit léger et doux.

Une grande inspiration. Louis presse ses narines entre son pouce et son index. Son visage s'imprime sur la surface de l'eau avec une pâleur plus inquiétante qu'à la normale. Ses traits sont lisses, des bulles s'échappent du ravin entre ses lèvres, il ne bouge plus.

Ses yeux s'ouvrent. Deux grandes orbites balancées hors de leurs crevasses. Des iris à peine colorées, quasiment transparentes. Des paupières exagérément repliées, des cils trop nombreux s'associant aux sourcils, retombant sur les pommettes. Deux pupilles rondes, trop petites, comme des aiguilles sans pointes. Son regard pique. Ses veines explosent une à une.

Il se redresse. L'eau perle bruyamment de son corps. Il fixe ses paumes dans l'eau, entre ses genoux et cligne plusieurs fois des yeux. Enfin, sur son visage se dessine un demi sourire.

Il faut que je m'achète un chapeau.

Lorsque les étoiles sont tombéesWhere stories live. Discover now