- Je vous l'avais bien dit, qu'il ne fallait pas le suivre, cet énergumène! Il nous a perdu définitivement, dans ces satanés copeaux énormes ! s'exclama Guul qui s'écrasa par terre, le front trempé. Je ne bougerais plus d'un grain de sable !
- Fichue verdure - s'écria derrière Sinaya - glissante comme une dune ! Et encore, je préfères le sable !
- Tiens ta langue, tu pestais sur le sable pas plus tard qu'hier, répliqua Aguul.
- Je ne savais pas qu'il existait quelque chose de pire ! Et cette éponge verte, qui colle aux pieds, ah ! J'en ai assez !
Elle s'affala près de Guul, l'air boudeuse. Aidann devant, en hauteur, scrutait la foret de plus en plus opaque, où Bloem venait de s'engouffrer, porté par sa course comme une plume. Ils l'avaient suivi un long moment, jusqu'à ce que, insaisissable, il disparaisse entre les troncs.
Le soleil avait complètement été avalé par la terre et, peu à peu, la mousse sur le sol commençait à émettre une légère lumière verte. Sinaya se releva avec horreur.
- Douce Mirabaille ! Le sol ! On dirait qu'il est vivant !
La terre mousseuse semblait se contracter et se décontracter, comme une respiration lente et pénible. La lumière apparaissait par endroits, en tâches claires qui s'elargissaient timidement. Une odeur de pluie s'éleva du souffle du sol, et Sinaya alla se percher en haut d'une branche, livide. Guul, accroupit, arracha une poignée de mousse lumineuse, qui s'eteignit aussitôt - et se transforma en poudre de terre, glissante entre ses doigts épais. Aguul, le regard serein, adossait sa vieille enveloppe à un tronc, et sous ses pieds, la lumière s'agglutinait pour former un large cercle. Aidann remarqua sous ses jambes le meme phénomène, et se pencha pour effleurer la mousse chatoyante - qui épousa la forme de son doigt. Il songea a la peau de Bloem, et retira sa main du sol sensible.
- Sinaya, descend de là, tu es ridicule !
D'ordinaire si bavarde, la fille ne repondit rien, le visage contre le tronc, les yeux fermement plissés. Elle lacha finalement une plainte:
- La terre va nous engloutir ! L'herbe va se fendre et le gouffre des pécheurs nous avalera !
- Sottises, nous ne sommes pas des pécheurs ! Nous sommes des enfants de Mirabaille, dit doucement Agul.
- Comment la Déesse pourrait-elle nous proteger si loin du sable ? gémit Sinaya.
L'idée que cette terre nouvelle possédait elle-meme une déesse effleura l'esprit d'Aidann: il ne pouvait se figurer quelle genre de divinité adorait Bloem. Un bruit dans l'eau au pied de la colline attira son attention.
Le ruisseau n'étant illuminé de rien sinon par ses bords, semblait contenir une eau d'encre. Se rapprochant du bruit, Aidann dont les yeux habitués aux rayons blancs du soleil distinguait mal dans l'obscurité, fit un pas dans le vide et bascula dans l'eau opaque. Les bords de la terre d'où il venait juste de glisser se trouvaient à hauteur de ses yeux: la rivière avait profondement creusé le sol mou, et - basse - lui arrivait en haut des genoux. L'eau nocturne était si froide, qu'il sentit à son contact comme des aiguilles embraser sa peau, imbiber son pantalon de milles éclats de glace.
Une main tiède toucha son coeur.
- Bloem, dit-il en attrapant la main. Je te cherchais.
La main se degagea doucement, puis alla se tremper dans l'eau. Aidann reconnut la main qui s'etait abimé contre l'écorce, bien qu'elle n'eut plus aucune trace de plaies. Les doigts laissaient entre eux filer l'eau sombre, et leur blancheur éclatait dans l'onde noire. Brusquement, Bloem le regarda et se jetta sur lui - Aidann vacilla, et tomba en arriere dans la glace liquide. Il sentit le poids de Bloem contre lui, l'enfoncer jusqu'a toucher le sol mou de terre et de sable; les yeux verts de Bloem brillaient sous l'eau comme la mousse phosphorescente du le sol. Il lui ouvrit la bouche, et Aidann absorba l'eau, qui vint paralyser sa langue et ses lèvres - elle descendit dans sa gorge comme un long couteau.
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Le poème du sable dans les fleurs
ParanormalL'histoire d'Aidann - fils du désert, de la ville et des cris - et de son amour pour Bloem - enfant de la forêt, du silence. Comment aimer, sans tâches aucunes, sans souillures, avec cette grande douleure - qui est celle de ceux qui ne peuvent to...