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Aidann avait réussit, entre les notes de son carnet flétri aux pages rongées de mots et de tâches, à extraire quelques sens essentiels. Il montrait les mots en caractères universels à Bloem, qui les corrigeait à l'oral, et lui montrait l'objet en question. Cependant, Aidann avait vite rencontré des difficultés imprévues: alors qu'il désignait le mot "glavo", si souvent entendu, qu'il avait cru comprendre comme étant l'équivalent de "couteau", il fut surpris quand Bloem étendit ses bras pour lui montrer l'intégralité de leur environnement. Aidann montra une pierre pointue du doigt, et dit "glavo" - Bloem acquiesca, mais il se leva et toucha un arbre: "glavo", dit-il. Puis, il répéta le mot en touchant une feuille, ses propres cheveux, des galets lisses et finalement, en pointant son doigt sur Aidann: "glavo". Aidann comprit alors que "glavo" signifiait "tranchant" ou "coupant", et que cet adjectif pouvait désigner pour Bloem autant une branche que lui-même. 

Ensuite, Aidann entailla légèrement son doig sur une ronce qui rampait près de ses jambes, et monra la perle rouge qui apparut au bout de son doigt: "arane" dit-il. Bloem acquiesca, mais de nouveau, indiqua d'autres objets: une pétale, un insecte, de nouveau une feuille, puis montra son propre corps: "arane". Ainsi, arane voulai dire "ce qui peut-être tranché", ou "ce qui est fragile": arane pouvait être la feuille qui se déchire, mais cette même feuille pouvait être le glavo qui tranche les peaux blanches. 

"Bloem", sourit Aidann en désignant son ami, qui acquiesca. Mais Bloem souleva de nouveau son doigt, et designa le peuple derrière, allongé autour du lac - "Bloem", dit-il en montrant un enfant en train de rire; "Bloem" dit-il pour la fille aux dents rondes, assise près du jeune homme de la cérémonie, "Bloem" enfin, pour l'homme géant du premier jour. Bloem n'était pas un prénom, mais une entité, un tout, un peuple. Le jeune homme du désert eu la triste impression que devant lui se dressait un inconnu, dont il ne possédait pas même le nom.

 Aidann se montra lui-même, et demanda: "Bloem?". Bloem rit, et dit non d'un geste de la main - "Aidann" répondit-il, comme l'évidence qu'on répond aux questions simples des petits enfants. 

Bloem, amusé du jeu, posa la main sur son coeur et dit "Alm" - puis, il désigna le couple de la cérémonie, et dit "Alm". Enfin, il se montra lui-même, puis montra Aidann, et dit plus doucement "Alm". Aidann sentit son coeur s'épanouir brusquement, couper la respiration qu'il s'apprêtait à prendre, quand il comprit que Alm était le coeur, le couple, mais aussi l'action d'aimer, le mot pour communiquer son amour. "Alm", répéta-t-il, les joues cramoisies - le sourire de Bloem, qui ne comprenait pas cette soudaine réaction, grandissait d'amusement.

Si l'approche de l'amour differait grandement dans cette confrontation entre deux peuples, ce n'était pas la seule chose. Aidann comprit que le peuple de la forêt traitait d'une égalité pure toutes les formes de vies - que ce soit celle de la mousse, des insectes, des animaux et des hommes. Blom désignait autant l'éclosion d'une fleur qu'une naissance, adje était une formule de respect qu'on adressait aux anciens comme à l'herbe. Aidann se rendit alors compte qu'il n'avait vu aucune personne véritablement agée dans ce peuple, mais si Bloem comprit sa quesion, il ne répondit rien. 

Le jour, le soleil, la lune et la nuit était la même chose - aeen -, ce qui voulait aussi dire "lumière";  l'obscurité, l'ombre entre les feuilles, ou la noirceur d'une eau était eaan. Le dur et le mou, le froid et le chaud... il n'existait pas de telles distinctions, car la pluspart du temps, ces éléments étaient désignés de glavo, à ne surtout pas approcher. 

Cette langue si simple - adaptée aux silences dominants dans leurs communications - était pourtant complexe aux oreilles étrangères. Si Aidann absorbait tant qu'il le pouvait les mots, il n'arrivait pas à comprendre la structure de phrases à but autre qu'informatif - où il suffisait de prononcer l'idée clef: "attention" était glavo, "je t'aime" était alm, "félicitation" était blom; jamais d'idée inutile comme "il fait beau" ou bien "j'ai faim" ne pouvait s'exprimer - ce système évitait les plaintes, et n'en autorisait qu'une seule: "j'ai mal", arane. On se saluait en s'effleurant les cheveux, on se quittait sans rien se dire. On ne remerciait pas, on n'accusait pas - si ce n'est par le regard. Certaines intonations comme eide ou maravele traduisait une accentuation de l'idée, soulignait de bonheur le mot qui suivait. Au contraire, aide et mechevele annonçait une triste nouvelle, ou montrait une peine éprouvée.

Le poème du sable dans les fleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant