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La Porte était là, toujours au même endroit. Personne ne savait depuis quand. Elle était là, c'est tout. La Porte n'était jamais utilisée. On n'y entrait pas, on n'en sortait pas. Elle était là, c'est tout.


Un brouhaha s'élevait dans les couloirs du pensionnat. Les élèves se bousculaient en criant : « Elle va le faire ! Elle va le faire ! ». Manifestement, tous se dirigeaient vers le même endroit, la grande cour. Elle était située au bord d'une falaise, et seulement séparée du précipice par des barrières en bois pourri.

Au point de la falaise le plus avancé se trouvait un grand édifice en pierre, qui ressemblait à un énorme cadre de porte. La raison de sa présence était inconnue. Malgré cela, les enfants disaient qu'elle était maudite et l'appelaient « la Porte ».

Les pensionnaires remplirent bientôt la grande cour, laissant vide uniquement l'avancée au bout de laquelle se trouvait la Porte, et observant avec curiosité la jeune fille de treize ans qui s'y tenait. Cette dernière s'appelait Mira. On pouvait entendre les gamins chuchoter entre eux : « Elle va vraiment le faire ? » ; « Mais non, banane ! elle aura trop peur ! » ; « On dit que l'on ne retrouve jamais les corps des gens qui sautent par la Porte... » ; « Ne dis pas ce mot ! Ça porte malheur ! » ; « Ah ! Ils arrivent, Ils arrivent ! ».

Les élèves laissèrent un passage pour qu'Ils arrivent jusqu'à Mira. Ils, c'était les Fantômes du pensionnat, un groupe de sept élèves respectés mais surtout craints de tous, qui faisaient la loi au pensionnat. De grandes capes noires recouvraient les Fantômes des pieds à la tête. Le brouhaha céda la place à un silence de mort. Les Fantômes se placèrent en ligne derrière Mira, qui se retourna. Celui du milieu s'avança vers elle.

« Mira, dit-il, tu as accepté d'être le Sacrifice. Auras-tu la volonté nécessaire pour accomplir le rituel jusqu'au bout ?

- Oui maître Fantôme.

- Bien. Avance jusqu'à la Porte. »

Mira se tourna vers l'édifice. Une rafale de vent remonta de l'océan. Les enfants retinrent leur souffle. Les boucles rousses de la jeune fille virevoltèrent un instant. Elle se dirigea vers la Porte et s'arrêta juste devant. Les Fantômes se mirent en cercle autour d'elle et psalmodièrent des chants dans une langue inconnue.

Les élèves contemplaient la scène, ébahis. Lorsque les chants cessèrent, un rayon de soleil vint éclairer Mira et la Porte. Les Fantômes revinrent se placer en ligne.

« Mira ! Mira ! »

Un jeune garçon se précipita vers elle. Mira le regarda avec ses grands yeux verts. Une larme roula sur sa joue.

« Mira, n'y va pas », dit-il.

La fillette fit un sourire triste. Le Fantôme le plus à gauche claqua des doigts, précipitant une horde d'élèves sur le pauvre garçon, ce qui étouffa ses cris. Mira le vit se faire avaler par la foule, puis détourna les yeux vers le maître. Celui-ci s'avança vers elle et lui mit quelque chose autour du cou. Mira baissa respectueusement la tête, contemplant le cordon de cuir au bout duquel pendait un disque argenté avec un perle blanche incrustée en son centre. Le maître Fantôme toucha l'épaule de la jeune fille avec une tendresse qu'elle seule remarqua.

« Va, Sacrifice. »

Résignée, Mira se tourna une fois de plus vers la Porte. Personne n'osait détacher le regard de la belle enfant. Mira tint fermement son pendentif, inspira un grand coup. La brise fit se mouvoir la légère robe de coton blanc qu'elle portait.

Elle mit un pied devant l'autre, puis bientôt, ses pas rencontrèrent le vide.

Mira ferma les yeux, se laissant tomber de la falaise. Tous les enfants accoururent au bord du précipice afin d'observer la chute de la jeune fille. Ils virent un éclair blanc se fondre dans l'écume, puis plus rien.

Juste Aux PortesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant