Nous y sommes.Personne ne l'avait prédit et pourtant, même les meilleurs visionnaires n'ont pas vu le coup venir. Les yeux fixés devant l'écran LCD, la bouche à moitié-ouverte, la mine froide et apathique. Le silence est pesant mais aucun des quatre membres de la famille Polinsky ose dire quelque chose. La journée avait pourtant bien démarré, chacun s'était affairé à sa petite routine sans se soucier du cataclysme imminent qui pesait sur la tête de tous comme un couvercle sous pression. Un samedi tout à fait normal, avec un repas habituel à la française. Quoi de mieux pour ravir deux ados en manque de protéines. Même le père y avait trouvé son compte en s'attaquant à une entrecôte. La mère, Hannah avait apprécié les douces critiques faites à propos de son repas, les mêmes qu'elle entendait depuis bientôt dix ans. Ça ne l'empêchait en rien de se sentir toujours autant aimée. Quant à ses enfants, Paul et Alice, ils s'étaient enfermés dans leurs chambres respectives toute la journée, devant leurs petits écrans qui semblent tant les connecter au monde alors qu'ils sont seuls, cloitrés dans leurs 9 mètres carrés. Des adolescents lambda, communiquant plus que jamais par tous les réseaux possibles, sauf le dialogue en face à face et matériel évidemment, « la flemme de bouger » comme dirait Paul.
Pour la première fois depuis de nombreuses années, toute la famille était réunie devant la télévision, de plus, personne ne parlait, rien ne venait combler ce silence, sauf peut-être le chat qui miaulait à tout va, en quémandant des médiocres croquettes aux légumes. Des gouttes de sueurs perlaient sur le front du père, lui qui était un modèle de sang-froid semblait suffoquer alors qu'il faisait 21 degrés au maximum dans cette douce soirée de début d'été. Hannah avait retiré son éternel tablier de cuisine, elle s'appuyait contre le rebord de la cheminée, le visage fermé, très loin des rires qui pouvaient sortir de sa bouche, qui alertaient alors tout le quartier. Les deux adolescents avaient lâché leurs téléphones, incroyable ! Ils étaient posés là sur la table, l'écran s'allumant et s'éteignant, signe de nombreuses notifications avec leur mode vibratoire qui apportait le seul mouvement dans cette maison. Ils avaient cependant le regard posé sur un autre écran quand même, celui de la télévision, une grande achetée grâce à la prime de Noël d'Emmanuel. Il en était si fier de sa télé, lui qui avait tant de fois posé son fessier dans le canapé en face pour fustiger et pestiférer après des personnes courant derrière un ballon. Tout semblait être en suspension, chacun retenait sa respiration ou alors oubliait de respirer tellement leur intérêt était aspiré. En dehors, dans la rue, aucun mouvement, aucun chien qui aboie, aucune personne qui erre, une capuche et une casquette sur la tête, le regard préoccupé, rien. Même pas de voitures en marche pour venir perturber cette constance. Seules les lumières des belvédères sont encore là, pour illuminer cette absence de vie, un allumage quoique rassurant, qui s'inscrit dans un quotidien. Connu de tout le monde, ce lampadaire, seule source de réconfort dans cette soirée qui n'a rien à voir avec toutes les autres.
Tout s'est enchaîné si vite, il aura fallu moins d'une semaine, deux jours, moins encore, 36 heures pour que l'Europe entière bascule dans un avenir très incertain. Le temps que les informations se diffusent, que Twitter inonde de hashtags la catastrophe, que Wall Street et la bourse entière soit touchée au point de chuter vertigineusement et qu'une carte en soit pleinement modifiée.
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RandomPersonne dans les rues, aucun bruit, aucune voiture, les lampadaires sont seuls, source froide et superficielle de lumière. Devant son petit écran, le monde entier est collé, le silence pesant marque les visages graves, le manque de réaction est é...