Jamais je n'aurais pensé que l'amour pouvait m'apporter autre chose que des contraintes, que dans tous les clichés négatifs que je m'étais efforcé d'intégrer, se trouvaient des sensations agréables qui me donneraient envie d'essayer de tomber amoureux.
Je t'assure que quand t'es arrivée, avec tes grands yeux clairs et ton sourire innocent, t'as tout dévasté sur ton passage. T'as été un ouragan, Alice. Mon ouragan.
Ce n'était pas le coup de foudre parce que je n'y crois pas et que je n'y croirai jamais, pourtant j'ai ressenti quelque chose de nouveau. Je m'en souviens encore très bien car c'était à la soirée de fiançailles de Jamie et Suzanne.
J'avais dit à Jamie de ne pas se marier, que c'était une grosse connerie et que, contrairement à ce qu'il pensait, ce n'était pas parce que j'avais vu ma mère mourir sous les coups de mon père que j'étais réticent à tout ça ; c'était simplement parce qu'un mariage, c'est toujours trop tôt.
J'ai eu le temps de réfléchir ces derniers temps et je crois que le mieux c'est ça : je te lis la lettre que j'ai écrite pour toi et tu écoutes en attendant que j'ai fini. Ce n'est pas de la grande littérature, tu me connais, mais je pars du principe que c'est probablement la chose la plus importante que j'ai fait depuis un moment. Je sais que ça peut paraître idiot de passer par une lettre, mais j'ai vraiment besoin de mettre les choses à plat. J'ai besoin qu'on se souvienne et qu'on essaie de trouver où ça a merdé parce qu'il faut que tu me pardonnes, Alice. Peut-être même que j'arriverais à me pardonner aussi ? Je ne suis pas le plus à plaindre dans toute cette histoire mais j'aimerais bien continuer de vivre sans le poids écrasant de la culpabilité qui oppresse ma poitrine. Je ne peux pas l'enlever complètement, c'est impossible, et de toute façon je le refuse parce que c'est comme une punition, tu vois ? Je l'ai mérité. Mais j'aimerais que ce poids soit moins lourd, moins étouffant. Alors j'ai besoin de parler de notre histoire pour y voir plus clair.
Nous sommes donc de retour aux fiançailles que je n'approuvais pas mais auxquelles je me suis tout de même rendu - au nom de l'Amitié. Jamie est comme mon frère alors si c'est important pour lui, ça l'est pour moi aussi. J'essayais toujours de le dissuader, mais ça ne fonctionnait jamais. D'ailleurs, je n'ai jamais compris ma réticence à m'engager parce que la plupart de mes amis étaient déjà fiancés, mariés - voire même parents - et je n'avais pas encore trouvé de raison de les plaindre. Mais c'était comme ça avant. Avant toi.
Je me suis pointé chez Jamie et Suzanne en début de soirée ; la bande était au complet et on était toujours heureux de se retrouver pour boire et faire les cons. Tu n'as pas trop connu cette période-là toi, parce que ça a bien changé par la suite, quand j'ai décidé que tu partagerais ma vie.
T'es arrivée tard à la soirée, il me semble. Ou bien l'alcool avait déjà commencé à me faire perdre la notion du temps. Peut-être même que je m'ennuyais un peu trop pour avoir une estimation du temps réel que j'avais passé à faire des aller-retour buffet/piste de danse, dans le seul but de ne pas m'endormir sur le canapé. Mais ce n'est pas important, au fond. Ce qui l'est c'est que tu n'aurais pas dû être là, et que quand on y réfléchit bien, on n'a pas toujours eu le destin contre nous.
Ta sœur, cette très chère Annabelle, t'avait traîné de force aux fiançailles de sa meilleure amie pour que tu vois du monde et que tu essaies d'oublier que tu venais de te faire larguer comme une malpropre. C'est une amie de longue date, Annabelle, et je l'ai toujours trouvée conne ; mais je crois que de toutes les imbécillités qu'elle t'ait obligées à faire, c'est celle-ci que je préfère. Tu n'as pas voulu la contrarier - et tu voulais qu'elle te fiche la paix - alors tu t'es retrouvée à devoir fêter le bonheur d'un couple que tu connaissais à peine pour tenter d'oublier que ton couple à toi venait de se casser la gueule. Un peu cruel, non ? Surtout que du haut de tes 21 ans, tu devais nous trouver vachement vieux et hors du coup. Mais t'as pris sur toi et t'étais là. Alors je vais t'avouer quelque chose aujourd'hui : la première fois que je t'ai vu, ce n'était pas dans la cuisine quand t'as dû venir en aide à ta sœur trop bourrée pour appeler au secours son propre mari. C'était juste un peu avant. Quand tu dansais avec ce gars aux cheveux longs. Même si tu ne devais pas te sentir à ta place, je t'assure que ça ne se voyait pas. T'avais l'air de danser sans vraiment te soucier avec qui tu le faisais, où tu étais ni même de la raison qui t'avait poussée à y être. T'étais dans ton monde et tu donnais l'impression que celui du commun des mortels ne serait jamais aussi bien que celui que t'avais créé dans ta tête. Je voulais y entrer moi, savoir à quoi tu pensais. C'est ton regard perdu dans le vague qui m'a fasciné, comme si t'étais là sans vraiment l'être. Tu sais, je crois qu'on a rarement le souffle coupé par la beauté de quelqu'un mais je dois reconnaître que l'espace d'une seconde, j'ai oublié qui j'étais, où j'étais, et pourquoi j'avais respiré avant si ce n'était pas pour toi.
C'est à ce moment-là que je me suis dit que la soirée devenait intéressante et que je n'étais peut-être pas venu pour rien. Alors j'ai arrêté de traîner du pied à chaque chose qu'on me proposait et je tentais de sourire à chaque fois qu'on me parlait, comme si ça allait m'aider à oublier à quel point j'avais envie de tout savoir de toi. C'est plus tard que j'ai réalisé que j'aurais dû t'inviter à danser plutôt que de rester planté au milieu du salon à te fixer de façon effrayante. Puis Jamie est arrivé, il m'a traîné vers le buffet en me disant :
« Pas touche, c'est la petite sœur d'Annabelle. Tu sais ce que ça veut dire ? », il m'a demandé très sérieusement.
J'ai dit oui et fait comme si je m'en fichais, que ce n'était même pas toi que je dévorais du regard.
Mais on sait très bien que l'interdit a quelque chose d'attrayant et que si on nous dit « non » alors on va tout faire pour le transformer en « oui ». Je reconnais volontiers que, lors de la soirée, j'ai essayé de tomber sur toi par hasard mais cette maison était pleine de monde et c'était presque mission impossible, alors j'ai fini par laisser tomber. C'est quand le soleil a commencé à se lever et que les cadavres de bouteilles de bière jonchaient le sol de la cuisine comme un parterre de fleurs que j'ai remarqué que, toi aussi, tu me regardais. Tu tenais les cheveux de ta sœur qui était en train de vomir au-dessus de l'évier et je me demandais ce que tu pensais de nous, les trentenaires qui refusaient de lâcher leur jeunesse.
C'est là que t'as levé les yeux vers moi.
Au début, ça t'a gênée que je te surprenne mais nos regards se sont accrochés et j'ai compris que c'était toi que je voulais. C'était pas juste un caprice parce qu'on m'avait dit non. C'était toi. Toi, ton air désolé, ton regard pétillant à la fois amusé et fatigué, ta robe trop large, ton maquillage déglingué d'avoir trop dansé, puis ton sourire radieux malgré le fait que tu venais de te faire larguer.
Je pourrais résumer la situation en une phrase : tu venais de prendre mon cœur, et tu es rentrée chez toi avec. T'es partie quand ta sœur te l'a demandé et j'ai simplement eu le temps de lever ma bouteille de bière à ta santé. On n'avait pas échangé un seul mot encore et je ne connaissais même pas ton prénom. Rien. T'étais juste la petite sœur de cette coincée d'Annabelle, et c'était la seule certitude que j'avais à ce moment-là. Je ne savais même pas ce que je voulais de toi ou pourquoi je t'avais fixé comme ça ; j'étais même incapable de savoir où ça allait nous mener ni même jusqu'où j'irais pour que tu sois prête à aller quelque part avec moi.
Je me souviens avoir pensé que j'avais rêvé, que t'étais juste une illusion causée par le trop plein d'alcool. Mais c'était pas ça. T'existais pour de vrai, et tu venais de ruiner mes plans de vie pour les vingt années à venir.
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Endlessly
Teen FictionLa passion est un ouragan ; quelque chose de sublime qui précède le chaos. C'est une histoire qui se termine toujours mal. Pour acheter le livre, c'est ici : http://www.lulu.com/shop/mélanie-da-silva/endlessly/paperback/product-24004117.html ❤