Le bleu était la couleur dominante. Bleu gris pour le ciel dont les nuages si denses ne laissaient passer le soleil. Bleu vert pour l'herbe recouverte d'eau limpide qui permettait de voir le sol fertile. Bleu canard pour la forêt, sombre et terrifiante, mère de nombreuses histoires. Bleu nuit pour la route, longue et droite.
Ce camaïeu appelait à la rêverie. Le calme régnait. Le doux chant de la pluie claironnait dans toute la vallée. C'était un jour de fête pour les naïades et les dryades. L'observateur attentif aurait pu les voir jouer à travers la forêt. Fruits de la nature, certaines s'évaporaient dans les arbres, tandis que les autres se fondaient dans l'eau. On racontait qu'il était possible de les entendre rire en s'aventurant sur leur territoire, par-delà le chant de la pluie.
Les gouttes d'eau sautaient de feuille en feuille ou glissaient d'épine en épine. Quand elles arrivaient sur le sol submergé par la pluie, elles rebondissaient plusieurs fois avant de ne faire plus qu'un avec le reste de leurs congénères. C'était un sacrifice nécessaire pour laisser la place aux gouttes suivantes qui, elles-aussi, souhaitaient danser à travers les arbres.
Ces derniers, rafraîchis par la pluie, semblaient se coller les uns aux autres, ne laissant plus au spectateur le soin de différencier les nombreuses essences. Un petit vent soufflait dans leurs branchages, créant ainsi une mélodie plus basse que le chant de la pluie, et ensorcelait l'observateur, qui restait ébahit devant la beauté de la forêt de Rinvik.
La densité de la sylve floutait la vision du spectateur qui, au-delà des premiers arbres, ne voyait plus qu'un brouillard aux tons bleutés et terreux.
Les jours de pluie étaient ainsi devenus l'un des plus beaux spectacles que la nature pouvait offrir, donnant de la joie lors de ces moussons qui seraient si triste sans cela.
La mousson qui, normalement, était un évènement annuel, avait eu lieu deux fois cette année. Elle était l'indicateur du printemps. Les hivers, très froids dans la région, obligeaient la faune et la flore locale d'entrer en hibernation. Une fois les pluies diluviennes de la mousson tombées, le sol absorbait l'eau, permettant à la flore de renaître, suivie de la faune.
Après deux mois d'accalmie, la mousson donc revint calmement, évènement rare mais pas impossible, qui arrivait une fois par siècle. Au début, c'était la fête. En ville, les gens sortaient sous la pluie, instruments en main, dansants tous ensemble. Les robes virevoltaient malgré la pluie dont elles étaient imprégnées. Les sabots tapaient la cadence au rythme des violons. Les chapeaux de ses dames et de ses messieurs étaient envoyés en l'air, à qui l'enverrait le plus haut ! Au début, tout le monde acceptait cet évènement rarissime comme un cadeau des dieux. Les offrandes s'amoncelaient dans les temples, surtout celui d'Eole, pour le remercier de ces nuages porteurs de cette pluie douce.
Au début.
Mais la pluie ne cessa pas. Après des semaines et des semaines, rien ne changeait. Elle devint plus drue. Les fêtes cessèrent. Les offrandes n'allaient plus à Eole, mais à Hélios, espérant ainsi le retour du soleil. Les rumeurs allaient de bon train. Tantôt on racontait que la moitié des dieux avaient désertés la planète, tantôt qu'ils étaient en colère ou triste. Personne ne comprenait cette pluie qui s'acharnait. Les récoltes de printemps étaient minimes, les animaux sauvages avaient déserté en direction des Montagnes du Nord, les esprits se faisaient de plus en plus rares.
Les sols n'absorbaient plus l'eau, la flore se limitait aux arbres et aux herbes. Les plants de baies, qui faisaient la réputation du comté de Rinvik dans toute la vallée, parvenaient à peine à rester en vie, sous cette pluie continue. L'agriculture, en général, mourrait à petit feu sous cette pluie assassinatrice.