Prologue

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  Elle pouvait le voir, il le sentait ; elle pouvait le flairer, il le savait. Il courrait aussi vite que ses jambes fatiguées le lui permettaient, tout en sachant que c'était en vain. Il faisait froid, très froid. Et tout à fait noir. Il n'entendait que le bruit de sa respiration sifflante et de ses pas sur le sol souillé de sang, dont il ne préférait pas connaître la provenance. Il tâta le mur de sa main tremblante, à la recherche d'un interrupteur. Il l'enclencha, produisant un claquement sinistre, malgré sa proximité. Une lueur jaunâtre éclaira la pièce, et l'homme reconnut son bureau. Il s'assit sur une vieille chaise et consulta rapidement son ordinateur. Une voix neutre retentit : « Voulez-vous supprimer définitivement ces fichiers ? Cette action est irréversible. » Il cliqua sur Oui ; il le devait.

  Ensuite, il alluma un feu, et y jeta une montagne de papiers. Le travail de tant d'années... songea-t-il avec regret. Il prit son téléphone et composa rapidement un numéro.

  Après deux sonneries qui lui parurent une éternité, son destinataire décrocha. Sans même une parole de salutation, il dit :

  -Activez le processus du TRH contre le spécimen numéro quarante-neuf.

  Et il raccrocha sans un mot de plus. Soudain, une plainte presque inaudible brisa le silence :

  -Docteur Husker...

  Il avança prudemment vers la source du bruit. La plainte se fit entendre de nouveau et il vit un corps de femme étendu sur le sol.

   -Dahlia !

  Il courut vers elle.Une tâche sombre et humide empourprait sa blouse blanche. La dénommée Dahlia tourna la tête.

  -Docteur Husker...

  -Chut... Ne dites rien... Vous... Économisez votre souffle... Je vais vous sortir de là... gémit-il, désespéré.

  La jolie scientifique qu'il aimait secrètement le regarda avec des yeux remplis d'amour. Elle les ferma, lui sourit tristement et murmura :

  - Vous savez que c'est impossible... On nous a abandonné à la seconde où ils ont su qu'ils perdaient le contrôle sur elle. Sans nous prévenir. Et ils ont eu raison car nous sommes les Créateurs, Pierre. Ceux à cause de qui le monde va changer. Ceux qui doivent souffrir en premier. Ceux qui doivent... mourir en premier, acheva-t-elle sombrement.

  Des larmes coulaient sur son visage sans qu'il ne s'en rende compte. Soudain, une bouffée d'optimisme le prit :

  -Dahlia, vous ne... vous ne mourrez pas ! Je...

  -Pierre, le coupa-t-elle calmement. Regardez.

Il souleva d'une main tremblante la blouse tachée. Il eut peine à réprimer une nausée qui lui montait : les artères, noires étaient visibles sous la peau meurtries ; le sang coulait à flot, tandis qu'un organe d'une nature indéterminée battait, tel un cœur en souffrance qui s'arrêterait bientôt de fonctionner.

  Avec horreur, Pierre comprit. Cet... organe n'en était pas vraiment un ; et surtout : il ne lui appartenait pas.

  -Oui, Pierre. Elle m'a eu, dit-elle d'une voix blanche. Je vais mourir pour, dans quelques heures, me Transformer. Comme nous l'avions prévu, ajouta-t-elle avec lassitude.

  Il ne savait que répondre : elle avait raison, il ne pouvait pas le nier.

  -Je sais, répondit-il, laconique.

  Dahlia n'en avait plus pour longtemps, il le savait. Il ne parvenait pas à bouger, tant la voir souffrir le glaçait de tout son âme.

  Elle fut soudain prise de convulsions. Mais, paniqué, il ne savait pas quoi faire.

  Au bout de quelques secondes, peut-être quelques heures, elle ouvrit les yeux et regarda celui qui avait été son ami le plus cher pendant toutes ces années :

  -Adieu, Pierre... Je suis terriblement désolée pour ce que je risque de vous infliger, après ma Transformation...

  Et puis elle rendit son dernier souffle dans un râle de souffrance.

  Et puis Pierre hurla.

  Il hurla de tristesse, de colère, de terreur et de frustration.

  Il pensa à Dahlia, qui était morte sans que personne n'ait réagi ; à ces personnes qui les avaient condamnés à mourir dans ce trou ; aux personnes qu'il avait lui-même condamnées ; il pensa à toutes ces années gâchées à travailler dans ce laboratoire souterrain dont seulement une dizaine de personnes connaissaient l'existence, avec interdiction de communiquer avec l'extérieur. Il n'avait d'ailleurs pas eu le choix : 19 ans plus tôt, sa femme et son fils âgé d'un an avaient été pris en otage, le forçant à rejoindre cette organisation aux motivations... inquiétantes.

  La vérité, c'était qu'il avait été lâche, lâche de ne pas s'être battu pour sortir de cet endroit, lâche de ne pas s'être battu pour sa famille. Il n'avait pas vu grandir son fils, il ne savait pas s'il était encore en vie. Et il ne pourrait jamais se le pardonner ; car il avait créé une bête.

  Il avait créé un monstre.

  Il avait créé la Destruction

Dark eyesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant