CHAPITRE 3 : Shark

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Le lendemain matin, toujours dans le bus, toujours les écouteurs dans les oreilles, je m'assois et pose mon sac à terre. Celui-ci laisse une place libre à mes côtés, comme une invitation.

Un pur hasard le guide jusqu'au siège jouxtant le mien. Il ne me regarde pas, je ne le regarde pas. Il s'assoit et, par mégarde, nos genoux se touchent mais, au lieu de le retirer, il fait comme si de rien n'était, brisant la règle tacite instaurée entre tous les inconnus des transports en commun. Mais étions-nous vraiment des inconnus dorénavant ?

Après quelques secondes de pur malaise pour ma part et de silence insouciant pour la sienne, il prend enfin la parole, toujours autant à l'aise et détendu :

"- Est-ce qu'on va s'ignorer tout le trajet ? Mine de rien, c'est long un quart d'heure."

Il se tourne vers moi, me regarde et hausse un sourcil. Son visage prend alors une expression qui m'est encore inconnue, un mélange d'amusement et de questionnement. Je ris et réponds :

"- Si tu as quelque chose à dire, je t'en prie, pour ma part je trouve le silence plutôt apaisant.

- Et je le trouve plutôt ennuyant."

Pourtant, cela ne l'empêche pas de ne rien dire durant plusieurs minutes. Ce qui ne me déplait pas, je trouve que le silence en dit souvent bien plus que les mots. Celui-ci est étrange, comme si nous étions seuls au monde, coupés de l'extérieur. Standing on the world outside.

À un moment, lentement, je le surprend approcher sa main de la mienne. Stuck still. Je détourne le regard et observe le paysage, faisant mine de n'avoir rien vu.

Une éternité plus tard, nos mains se rencontrent et, d'eux-mêmes, nos doigts s'entrelacent. Comme si c'était leur place naturelle, là où ils auraient toujours dû être. I will never go.

Sa chaleur m'envahit et embrase chaque parcelle de mon corps. Petit à petit. Cellule par cellule. Lentement, elle s'insimine en moi, trouvant sa place.

Quand cette chaleur atteint enfin mon coeur, un véritable feux d'artifice implose à partir du centre de mon corps, du centre de mon âme. Alors, elle m'habite toute entière. Comme si elle était une pièce du puzzle si complexe qu'est ma personne, comblant une partie de l'énorme  vide qui régnait jusqu'alors en moi. Arrivée pourtant si tardivement, elle semble maintenant indispensable à ma vie, à ma survie. Et je ne veux plus jamais m'en séparer. Are you gonna be my love?

Malgré ce néant enfin comblé, il y a encore une partie vide en moi , tellement vide. Tellement que ça en est presque douloureux. Car maintenant que le néant commence enfin à se combler, il serait fou de ne se contenter que d'une fraction. J'ai besoin de quelque chose d'autre, quelque chose de plus. Il m'est impossible d'arrêter seulement maintenant. Are you gonna be mine?

Alors, je me détourne de la vitre et le regarde. Durant tout ce temps, il me fixait, ou bien peut-être seules quelques secondes s'étaient écoulées? Are you my soul, my heart, pull everything apart. Nos regards plongent l'un dans l'autre simultanément et alors, nous sommes rois. Rois de nos deux sièges côte à côte. Rois de notre monde à nous, surplombant tous les autres mondes. Rois nomades. Rois solitaires. Rois de notre silence. Notre silence si éloquent.

Get me away from hereOù les histoires vivent. Découvrez maintenant