VII

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Vendredi 16 Octobre


Chers parents,


Notre retenue n'était pas ce que j'avais pensé. Je m'étais trompé, nous avions rendez-vous au CDI mais nous avons fait notre retenue à l'extérieur. Un gros bonhomme imposant aux yeux enfoncés nous a amenés jusqu'à la forêt. Il faisait sombre sous le couvert des arbres, alors qu'on était pourtant en début d'après-midi ! Il y avait de gros nuages dans le ciel mais il ne pleuvait pas, pour une fois. Au cœur de la forêt, nous avons découvert un "pavillon" délabré. J'ai compris que les retenues se passaient ici jusqu'à ce qu'il soit remis en bon état, mais j'ai aussi pensé qu'il faudrait du temps avant la fin de la rénovation car Joe et moi étions les seuls élèves punis ce jour-là, et on ne voit pas souvent d'autres élèves grondés et collés. Notre travail a consisté à amener des planches et des briques jusqu'au pavillon. Le matériel était hors de la forêt et il a fallu faire masse de trajets. Au départ, on restait tous les deux. Jusqu'à ce que Joe trébuche sur une racine et s'étale sur le sol avec son chargement de briques. Il a insisté pour que je continue seul, disant qu'il me rattraperait rapidement. J'ai donc continué. Je me suis déchargé au pavillon, et puis je suis reparti dans la forêt, pensant que je ne me séparerais plus de lui à l'avenir. Je ne l'ai pas trouvé. Il a fallu ensuite porter des sacs de ciment. Sacs que nous devions porter à deux à l'origine. Le colosse avait disparu dès le début de la retenue. J'ai donc entrepris d'attraper le sac et d'avancer en le tenant, serré contre moi. Tous les dix pas, je devais m'arrêter pour souffler et le reprendre. J'ai mis longtemps à arriver au pavillon. Je suis ensuite retourné à l'internat. La nuit commençait à tomber. J'ai cherché mon ami, en vain. J'ai alors commencé mes devoirs, au CDI. Au bout d'une heure environ, j'ai entendu la voix de Joe, qui négociait avec la bibliothécaire à propos d'un livre qu'il avait oublié de ramener.

Je l'ai immédiatement attrapé et l'ai attiré derrière quelques rayons de livres. Il semblait heureux de me voir et m'a dit :

- Clovis ! Tu étais où ? Je suis content de t'avoir retrouvé !

- Fais pas le malin, tu m'as laissé faire tout le boulot !

- Je suis désolé, le pion m'a dit que c'était fini et que je pouvais partir ! Je lui ai demandé où tu étais et il m'a dit que tu étais rentré !

Il était sincère le Joe ! Et dire que ça faisait plus de deux heures qu'il était rentré ! Je ne lui en voulait plus à présent, c'est contre le pion que j'étais en colère.

Sinon, nous n'avons plus séché de cours depuis. Nous connaissons à présent par cœur les passages des fragments de pièces écrits par Bertolt Brecht et devinez quoi ? Mercredi, Joe m'a offert, emballé dans une page d'un dictionnaire sur la biodiversité, une autre pièce de théâtre ! Cyrano de Bergerac, écrite par Edmond Rostand. J'aime énormément cette pièce, je l'ai lue sous ma table pendant les cours et je l'ai finie ce matin. Je trouve certains passages vraiment hilarants, même si des expressions d'une autre époque sont utilisées. On a commencé à mettre en scène la scène 4 de l'acte I. C'est une de mes préférées. Je joue le rôle de Cyrano et Joe fait tous les autres à ce moment là, réunis en un seul personnage.

Je suis redescendu à 65% mais c'est bien quand même non ? Par contre, Joe est à 75%, il est vraiment très intelligent. Je pense quand même augmenter la semaine prochaine car j'ai décidé d'apprendre mes cours par cœur, comme du théâtre, et je prévois de diviser une leçon en répliques que Joe et moi pourront apprendre, et puis si la technique se révèle efficace, pourquoi ne pas continuer ?

J'espère vraiment que vous allez m'écrire, je sais que le lycée est situé dans un petit trou paumé en Suisse mais le courrier devrait passer non ? La preuve, le mien vous parvient (enfin je suppose) car tous les samedis notre directeur se rend dans la grande ville pour poster nos lettres et relever notre courrier, et je ne sais quoi encore. Je l'ai croisé dans la semaine et je lui ai demandé s'il y avait du courrier pour moi mais il m'a répondu négativement. Écrivez-moi s'il-vous-plaît ! Vous m'en voulez tant pour ce que j'ai fait ?


Clovis

Lettres...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant