Chapitre 2

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Après l'accident, on emmena Angelo à l'hôpital, où il se fit amputer de la main. La douleur affligea Angelo pendant plusieurs jours. Puis il rentra chez lui, et y resta cloitré. Les marchands des alentours, apprenant la triste nouvelle, lui avaient offert de quoi manger et s'entretenir le temps qu'il se remette de sa blessure. Mais ce qui le faisait le plus souffrir était la pensée de ne plus jamais pouvoir jouer au piano. Le jeune garçon était triste à voir : il passait ses journées assis sur le tabouret de son instrument et fixait les touches d'ivoires sur lesquelles il ne pourrait plus jamais jouer comme avant. Il avait perdu toute sa joie de vivre, et sa fonction dans l'usine. Son employeur, ne pouvant le licencier, le chargeait à présent de l'entretien des machines, sous les ordres de M. Lanvin, un personnage colérique et exécrable qui ne manquait pas de se moquer de lui.

Un soir qu'il rentrait chez lui, il décida, sur un coup de tête, de se fabriquer un nouvel avant-bras pour pouvoir jouer de nouveau, ne pouvant vivre sans musique.

« Je ne peux pas rester les bras croisés ! se disait-il. Si Dieu veux m'empêcher de travailler, qu'il le fasse ! Mais jamais, jamais il ne m'empêchera de créer, de jouer ma musique ! »

Alors il se mit à travailler, toutes les nuits, ramassant les vieux outils inutilisés de son usine, volant parfois quelques engrenages dans la réserve. Il assemblait, avec ses talents de bricoleur, toutes ces pièces de métal à la faible lumière de sa lampe, dans une symphonie de petits cliquetis. Mais, malgré ses efforts, ses mécanismes ne fonctionnaient pas et sa main ne bougeait pas. Le fait de n'avoir qu'une seule main le handicapait beaucoup dans sa fabrication. Mais il ne se découragea pas, et continua à la confectionner avec acharnement, dessinant des croquis et des plans, plus complexes chaque nuit. Au bout de trois mois, il réussit enfin. La nouvelle main mécanique trônait sur sa table, devant son créateur épuisé mais heureux.

Il la fixa sur son avant-bras et s'installa devant le piano pour jouer. Au premières notes émises par le piano, le plaisir qu'il retrouva à jouer le saisi à tel point qu'il se mit à rire de bonheur ; cette sensation lui avait terriblement manqué. La scène était incroyable : cette main curieuse et effrayante, qui semblait avoir été arrachée à un automate, s'agitait sur le clavier, dansant sur l'ivoire froid des touches. On y voyait tourner les engrenages métalliques, bouger des rouages de cuivres. Les doigts aux mécanismes un peu rouillés fluidifiaient leur mouvement au fur et à mesure du morceau.

Il n'était plus le même, mais c'est obstacle qu'il avait réussi à surmonter semblait lui donner une force nouvelle, différente. Son sourire était revenu : il se sentait fort à nouveau, comme si rien ne pouvais l'arrêter.


La symphonie d'IvoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant