Chapitre 2

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Georges 


Je n'ai qu'un seul mot à dire : Putain. Je ne suis pas vulgaire, habituellement, mais là, je suis juste obligée d'employer cela. Il m'a fixée pendant toute sa présentation. J'avais l'impression d'être aspirée par un trou noir. Plus je le suivais dans ce petit jeu, plus j'avais l'impression de partir, de plonger dans un monde irréel. Je ne voyais que lui, que ses yeux marrons, ses cheveux bruns en bataille, je n'entendais plus que le son de sa voix légèrement grave, la prononciation appliquée de ses phrases. Pourquoi a-t-il accroché son regard au mien ? Je ne comprends pas. Je suis toujours invisible. Et les seules fois où des étudiants m'adressent la parole, c'est le plus souvent pour me lancer une remarque cinglante, histoire de me faire courber l'échine un peu plus et de m'écraser. Pourquoi moi ? Georges Bensley, une dépressive, une perdante, une faible, une moins que rien

Après cette heure de cours assez étrange, je sors de la classe. Je me sens complètement oppressée, je dois sortir de ces couloirs bondés de monde. Alors, je marche en direction de la cour. Tant pis pour les maths ! Je déteste cette matière en plus ! Entre deux coups de coudes, bousculades et regards étonnés, je pénètre dehors, où l'air frais libère tout de suite le poids qui bloquait ma respiration. Je continue mon petit bout de chemin jusqu'au grand chêne, derrière le bâtiment. Personne n'y va. Enfin, personne n'est surtout au courant de l'existence de cette minuscule étendue d'herbe fraîche et de l'arbre. Je dois traverser un grillage pour y accéder. C'est assez simple, j'ai réussi un an plus tôt à sectionner quelques fils de fer pour pouvoir fabriquer une petite entrée. Rien d'extraordinaire. C'est assez étroit, et à chaque fois que j'y passe, je me griffe les mains. Mais au moins, je peux être tranquille et m'échapper quelques minutes de ce monde infernal.  Je m'installe donc confortablement contre l'écorce du chêne qui m'accueille chaleureusement, comme chaque fois que je viens lui rendre visite. Je sors mon vieux baladeur et place mon casque sur mes oreilles. Pour me réconforter, je mets à fond les Rolling Stones, Ride Em' One Down, ma préférée ! Je fredonne la chanson en bougeant ma tête et mes épaules en rythme avec la mélodie entraînante. J'aimerais me lever et chanter à tue-tête, c'est ce qui me soulage le plus souvent, quand je suis seule chez moi. Je monte sur mon lit à une place qui souffre beaucoup trop à cause de mes pétages de câble, et saute dessus en hurlant les paroles d'une musique. 

Une grosse demi-heure plus tard, je retourne en cours, plus particulièrement en chimie. La classe est déjà presque pleine. J'entre, les yeux rivés au sol, comme toujours et me laisse tomber sur la première chaise venue. Merde. Je suis juste devant Gianna et ses larbins. J'entends déjà des rires méprisants. Je tente de les ignorer, ravalant mes larmes de nulle. Je tourne la tête et remarque l'espagnol. Il est partout, lui ! Une boulette de papier vient cogner contre ma tête. Je la prends et la chiffonne encore plus, avec rage et la jette par terre. Je rougis violemment en voyant le haussement de sourcil de... Esteban, il me semble. J'ai honte. Soit il fait cela parce que j'ai l'air d'une victime, soit ... Peut-être parce qu'il trouve que le comportement de Gianna n'est pas correct. Je rêverais que ce soit ça. Enfin, ça n'arrivera pas. Il doit me prendre pour le bouc émissaire de la classe. Ce qui n'est pas faux. Cela me fait du mal, car c'est la pure vérité. Je baisse de nouveau les yeux, serrant mes poings, enfonçant mes ongles vernis de bleu nuit dans mes paumes. Mr Cross entre, me sauvant littéralement, et pose bruyamment une liasse de documents sur son bureau.

-Les jeunes, aujourd'hui, je vous propose de faire un projet sur les molécules de l'oignon. ( Des soupirs fusent, le sujet n'est pas top, il faut l'avouer). Je vais moi-même former les duos. Alors...

Je t'offrirai les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant