I. CONTACT (3/4)

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Lundi 13 mars, 18:05 - Lycée Espérance

La sonnerie retentit soudain pour nous indiquer la fin des cours. Les élèves de la classe se mirent à ranger leurs affaires d'un geste, presque à l'unisson, laissant notre professeur d'histoire terminer sa phrase dans un vacarme et un désintérêt total. Cette journée m'avait semblé interminable mais les lundis me faisaient souvent cet effet là. Je ne perdis pas de temps et me dirigeais en direction de la grande porte d'entrée du bahut quand je sentis une main s'emparer de la mienne. Je reconnus directement la douce chaleur de la peau de Barbara, ma meilleure amie et accessoirement l'une des filles les plus brillantes du lycée.

Nous nous étions rencontrés à notre arrivée à Espérance, il y avait presque 3 ans. Nous avions partagé un cours optionnel de photographie - assis l'un à côté de l'autre - et j'avais été tout de suite intrigué par la jeune adolescente. Elle avait été la seule à avoir fait le choix d'utiliser un vieil appareil photo instantané pendant que le reste de la salle, immature, concourrait pour savoir qui avait le plus gros objectif. Selon elle, le contraste était plus intéressant et rendait les clichés intemporels. L'objet contrastait avec l'apparente modernité de Barbara et je sus à cet instant que je voulais connaître cette fille. Nous avions donc sympathisé pendant et après le cours. J'avais appris plus tard que j'avais été le premier élève à lui adresser la parole ; peut-être était-ce par loyauté ou reconnaissance qu'elle continuait d'entretenir notre amitié. Elle sortait depuis plusieurs mois avec Dylan, l'archétype même du fils à papa, riche et ultra suffisant. Effectivement, je ne l'aimais pas beaucoup mais elle semblait néanmoins heureuse donc je m'abstenais de tout commentaire désobligeant bien qu'elle me connût trop bien pour se laisser abuser par mon silence.

Elle m'adressa son plus beau sourire, que je lui rendis sincèrement.

« J'espère te voir ce soir à la fête de Samantha.

- J'ai pas mal de boulot Barb. Puis tu sais que je ne suis pas très à l'aise à ce genre de soirées.

- Mais c'est justement pour ça que tu dois venir ! Bientôt tout cela sera terminé et nous n'aurons plus que nos souvenirs. Profitons-en avant de commencer les choses sérieuses. »

Le lycée étant exceptionnellement fermé mardi matin suite à des réunions administratives, Samantha, une seconde année aux dents longues, avait organisé une soirée chez elle. Ses parents n'étaient pas sur place et ne savaient probablement pas qu'un tel événement était planifié chez eux depuis quelques jours déjà. Apparemment, la bière avait prévu de couler à flot et certains avaient même parlé d'apporter de l'herbe, "le parfait mélange pour une fête d'enfer" qu'ils disaient. Je devais avouer que j'avais sadiquement hâte de voir le lycée, mardi après-midi, arpenté par des élèves transformés en véritables zombies avides de sommeil.

« Je passerai peut-être.

- Mouais, je sais ce que signifient tes "peut-être". T'es irrécupérable Noah mais je t'aime quand même. »

Sur cette jolie déclaration d'amitié, Barbara me déposa un baiser sur la joue puis s'éloigna en direction des casiers. Elle y rejoignit Dylan qui rangeait des bouquins dans son compartiment l'air renfrogné. Je les vis s'embrasser affectueusement puis Dylan me lança un regard noir. Pourquoi fallait-il qu'il soit si détestable ? Il était beau, riche, intelligent et grandement apprécié. Il avait tout pour lui, même la petite-amie la plus extraordinaire du coin, mais il était tout de même odieux.

Je passai la porte pour enfin sortir du bâtiment, l'air frais sembla réanimer mes membres ensommeillés par des heures de cours. Sur les imposants escaliers menant au lycée, quelques ados discutaient bruyamment. Je reconnus Peter, un loser du coin et par ailleurs dealer préféré des jeunes d'Espérance. Il était présent à toutes les fêtes qu'organisaient les étudiants et revendait ses saloperies à qui avait assez d'argent. Il se racontait que, plus jeune, il avait agressé sexuellement une étudiante lors d'une soirée mais ces rumeurs n'avaient pas l'air d'impressionner mes camarades. Peter fumait une cigarette roulée, il me lança un rapide regard au moment où je passais à son niveau. L'odeur qui me parvint m'indiqua qu'il ne s'agissait pas d'une simple cigarette.

J'avançai en direction de l'arrêt de bus quand, au niveau du parking du lycée, j'entendis une voix s'élever – une voix d'où semblait suinter le mépris ou la colère. Je reconnaissais ce ton sans parvenir à y associer un nom, aussi je décidai de m'avancer dans le parking discrètement pour savoir de qui provenaient ces éclats de voix. Je longeai un 4x4 rouge cabossé que je soupçonnai d'appartenir à Peter. Je l'imaginais s'allonger à l'intérieur, complètement défoncé, et s'y endormir comme une merde, les petits rideaux des vitres arrières lui offrant un semblant d'intimité. 

« Je n'en ai rien à foutre, tu entends ? Je suis journaliste et tu m'envoies jouer l'institutrice pour des gamins friqués ! Bien-entendu que je suis en colère. »

Silence. Martin Kirt était en pleine conversation téléphonique avec quelqu'un qui l'avait visiblement beaucoup énervé. 

« Je vois clair dans ton jeu Lise mais je ne démissionnerai pas, tu peux en être certaine. »

Lise, comme Lise Dubois ? La rédactrice en chef de NEWS ? Ils avaient l'air d'avoir une relation particulièrement électrique. Devant l'intimité de la conversation qui se déroulait devant moi, je me décidai à faire demi-tour afin de ne pas espionner celui qui allait être mon professeur cette semaine. Je levai mon pied et entrepris de m'éloigner quand j'entendis quelqu'un m'interpeller plus loin.

« Si tu touches à ma caisse j'te bute ! »

Peter me regardait au loin, l'air menaçant, tirant sur son joint. L'imbécile venait d'indiquer ma présence au journaliste qui me regardait les sourcils froncés. Je l'écoutai prononcer à petite voix en direction de son téléphone :

« On terminera cette conversation plus tard. »

Puis, il décolla son téléphone de son oreille et mit fin à la conversation d'un simple geste. Enfin, dirigeant toute son attention sur moi, véritable statue de cire, il me demanda :

« Je peux t'aider peut-être ?

- Je suis désolé, je ne voulais pas...

- Écouter une discussion privée ? Être impoli ? C'est plutôt raté tu ne trouves pas ? »

Je restai sans rien dire, les yeux rivés sur mes chaussures. Je n'avais pas la moindre envie de me le mettre à dos sachant qu'il avait entre ses mains la nomination de l'élève qui bénéficierait du stage d'été chez NEWS, mon futur professionnel autrement dit. Je maudissais Peter et sa grande gueule.

« Tu as assisté à mon cours aujourd'hui, je me souviens de toi : le buveur de thé à la vessie fragile ! »

Le ton de sa voix était soudain devenu plus doux et, devant mon air coupable, il tapota affectueusement mon épaule pour ajouter :

« Vous ferez peut-être de bons journalistes, toi et tes oreilles indiscrètes. »

Sa remarque me décrocha un sourire étonné, presque niais. Avait-il essayé d'être affectueux ? L'homme avait dû être plus surpris par ma présence que réellement énervé, ce qui expliquait son revirement soudain de comportement. Il leva les yeux vers Peter, qui continuait de nous observer plus loin. Puis, visiblement soucieux, il s'approcha un peu plus près de moi.

« Tu veux que je te dépose quelque part ? Ce mec là-bas ne m'inspire pas vraiment confiance. » Murmura-t-il en indiquant d'un bref signe de tête une voiture bleu nuit qui avait dû coûter bien trop cher.

Peter aboyait plus qu'il ne mordait et je n'étais pas réellement perturbé par la présence du jeune homme mais l'occasion était trop belle pour placer mes pions sur l'échiquier. Me rapprocher de Martin pourrait jouer en ma faveur, notamment lorsqu'il devra prendre sa décision finale. Et même s'il n'était pas dans mon habitude de me faire déposer par des inconnus, je décidai de faire taire mes bons principes et je consentis à sa proposition. En guise de réponse : il ouvrit la portière côté passager et m'invita à prendre place dans sa belle voiture de sport.

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