CHAPITRE 1 : Le choix Fatal

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Il y a eu un grand « Bang », un truc qui m'a traversé, comme un éclair de lumière zébrant le ciel un soir d'été.

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Cette impression de flotter ; d'être heureux.

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J'entends des voix autour de moi, sans pouvoir les reconnaitre réellement. Des voix alentours qui sonnent dans ma tête sans sens, s'entrechoquent sans que je puisses en discerner les contours et les intonations. Elles se transforment souvent en bourdonnements de sourdine ou en sonneries stridentes qui ne se résument alors plus qu'en bruits de fond quotidien. J'aimerais tellement voir ce qui cause ses sons, au delà des murs, dévisager ses interlocuteurs qui enchainent leurs monologues, sachant très bien que je ne leur répondrais sans doute jamais.

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Je suis dans un tunnel, un égout, je crois. Pourtant de l'eau saine et propre s'écoule lentement sur les carreaux blancs, flinguent mes chaussures de flotte. Du moins si j'en ai, je ne sais plus vraiment, c'est difficile à en être sûr. Elles disparaissent puis reviennent, il arrive qu'elles se troublent en devenant transparente sur des centaines de mètres. Mes pensées s'emmêlent dans mon esprit, je ne suis pas certain d'être dans un état normal. J'ai cette impression de flotter au-dessus de mon corps, comme emporté par la brise qui s'engouffre doucement dans la cavité. L'égout est en arc de cercle, les parois faites de briques. Je cligne des yeux, me rend compte qu'elles sont en béton, cette fois-ci, puis en roches suitantes d'humidité, sans que je puisse me rappeler en quoi elle était quelques secondes plus tôt.

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Parfois, il arrive que les voix s'éteignent, me laissant errer seul dans la pénombre. Il arrive même parfois que le silence se prolongent en jours, en semaines, voir presqu'en mois. A chaque fois, je perdais espoir de ne plus jamais entendre un autre son que le bruit de ma respiration et de ce Boom Boom régulier, un bruit presque imperceptible, inaudible lorsque je marchais.
Mais les voix reprenaient toujours.
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Je vérifies toujours que ce Boom Boom est toujours là, presque malgré-moi. C'était quelque chose qui m'était cher, qui me raccrochait à un truc. Alors régulièremment je m'arrêtais et tendais l'oreille. A deux reprises, ce bruit c'est arrêté. A chaque fois, une porte au loin brillait d'une luminosité sans second. A chaque fois, il y avait des éclats de voix, des hurlements de paniques à l'extérieur des murs du tunnel. A chaque fois, j'entendais des gens qui me priaient d'être fort. Chaque fois, je ne comprenais pas comment l'être. Chaque fois, il y avait un choc sourd et le Boom Boom recommençait, quoi que bien trop réguliers pour que ce soit normal.
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Il y a des gens, derrière moi. Au fond, si loin que je sais qu'ils ne se résument qu'à des formes noires et mouvantes. Des gens qui hurlent mon prénom, qui déchirent leur voix de cris désespérés. Ils s'égosillent pour que je me retourne, des appels si forts et si désespérés que je dois parfois me boucher les oreilles. Je rêverai bien d'être sourd. Il y en a une qui murmure, les sanglots étranglants sa gorge :

- Calvin, reste s'il te plait.

Est-ce normal de l'entendre, si loin que je suis ? Ma tête se retourne mais mon corps continu à avancer comme un automate. Pourtant, je dois voir son visage, voir ces flammes danser dans ses grands yeux. Je ne sais pas qui c'est, oh non, bien sûr. Mais j'aimerai tant savoir, tant savoir comment elle s'appelle pour crier à mon tour au secours. Pour lui hurler de me sortir de là, pour comprendre ce qui m'est arrivé. Juste pour savoir si tout ça est un rêve ou non. Un rêve qui ne prendra jamais fin, qui ne me laissera jamais seul. Depuis combien de temps n'ai-je pas dormi ?

Droit devant moi, une porte blanche, si loin qu'elle n'est qu'à ma vue qu'un minuscule rectangle d'une poignée de centimètres. Mais je sais qu'une fois franchie, qu'une fois la porte passée, je serai libre. Plus j'avance et plus mon corps s'empli de bonheur. Ma chair devient plus légère, mon cœur plus libre. Mon sang circule plus lentement, mes poings meurtris se desserrent. Je crois que je n'ai jamais ressenti quelque chose d'aussi plaisant. La lumière m'enveloppe comme un plaid dans les grandes nuits d'été, dans ses bras enivrants. Suis-je né pour la franchir, depuis quand est-ce que je foule le petit ruisseau de mes pieds nus ? Tiens, ils sont nus, maintenant. Peut-être l'on-t-il toujours été. Où sont passé ses pompes de marche dégoulinantes d'eau ? J'oublie très vite mes questions dans ma tête, mon esprit se fait fiévreux. Je sais que je ne tiendrais pas bien longtemps. Il faudrait bientôt que je me pose, que j'inspire une de ses grandes goulées d'air stérile. Pourquoi de l'air stérile, d'ailleurs ? La porte se rapproche, je le sais. Mon cœur se fait moins vide, le trou béant se referme lentement dans mon sternum. Mais pourtant, j'ai l'impression que ce que je suis en train de faire est mal. Est-il mal de se sentir bien ? Tiens, je n'avais jamais remarqué cette blessure, près de la clavicule droite. Qu'est-ce que j'ai bien pu foutre ? Un autre murmure ébranle la cavité, je tombe à genoux, me rendant compte par la même occasion qu'ils sont écorchés, mon pantalon déchiré en lambeaux. C'était quoi, ça ?

- Ce n'est pas le bon chemin, tu le sais, dit la voix d'un homme.

- Quoi, qu'est-ce que je peux en avoir à faire ? me surpris-je à répondre en hurlant, levant la tête vers le plafond, là d'où émanait la voix, comme si elle pouvait m'entendre. Tu n'en sais rien. Je me plairais bien là-bas.

Il n'a rien répondu, ce con. Mais c'est pas comme si je m'attendais à une réponse. Alors je continue mon chemin, le dos droit. Si je recule, je perdrais à jamais cette sensation indescriptible. Je ne veux pas, je ne veux pas. Alors je continu de marcher en pressant le pas, voyant cette porte s'approcher au fil du temps. Cette sensation de bonheur est désormais immense, me happe plus loin.

- Tu prends le mauvais chemin, petit bonhomme, reprend-t-elle.

Les cris sont de moins en moins perceptibles. J'ai l'impression de marcher depuis des jours, sans pourtant être fatigué. Où est passé cet épuisement ? Mais je me concentre sur les voix, tout en continuant d'enchainer les pas. La même revient à chaque fois, la même qui m'avait appelé la première fois.

- CAL !

- Je t'interdis.

Cette dernière est comme un électrochoc, si soudaine que je manque de m'arrêter. Qui pourrait-ce bien être ? Je ne sais pas. Qui sont ses gens, qui m'appellent ? Qui sont-ils ?

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Une main sert la mienne, si fort que j'en ai terriblement mal, même s'ils ne peuvent pas s'en rendre compte. Une autre, froide et humide, vient se plaquer sur mon front, se faufilent entre mes cheveux trempés de sueur. Une larme froide s'écrase sur le dos de ma main.

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Comment puis-je être au courant de ça ? Maintenant je peux en être sûr, il y a un corps, un corps à moi en dehors de ce tunnel. Mais, comment puis-je le retrouver ? En franchissant cette porte, c'est certain. Je veux savoir ce qu'il y a derrière. Je secoue la tête, il m'est impossible de penser clairement, ni de me souvenir de mes derniers songes. L'issue est la mort, j'en suis sûr. Mais alors pourquoi je continue à marcher, presque en trottant vers elle ? A cause de ce foutu sentiment de bonheur, un truc que j'devais pas trop connaitre auparavant.

- Bon Casanova, ramène tes fesses illico presto, y'en a qui s'inquiètent et ce serait fort sympathique que toi et ton esprit de génie reviennent dans la vraie vie, histoire de pas se faire débrancher parce que ça manquerai sûrement cruellement de panache, fit une voix d'une fille. Je ne la connais pas, c'est la première fois que je l'entends.

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Je suis de retour dans ce tunnel, mais je bloque mes jambes avec un effort surhumain. Je fixe la porte blanche, qui fait maintenant la taille de mon bras au loin. Les voix se font de plus en plus fortes dans ma tête, malgré la distance. Ils me déchirent les tympans en me dédiant une migraine d'enfer. J'entends encore cette voix qui me supplie de rester et je suis soudainement pris de remords. Qu'adviendra-t-il de cette voix, à cet être, hein ? Et si l'autre fille disait vrai, si ses dires sur l'inquiétude des gens se révèlent être sincères ? Est-ce que j'ai fait le bon choix, est-ce que cette porte, devant moi, est réellement ce que je crois ? Mais, pourtant je me sens tellement bien, tellement simple. Hors de cette misère. Hors de toute cette souffrance, tous ses défauts.
De ce monde brutal et de ma vie.

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Mais je dois savoir.

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Alors je cours, m'arrachant des hurlements. Pas par colère, mais par douleur. Je cours, mais du mauvais sens, m'éloigne de plus en plus de cette fameuse issue. Cette porte qui me réduira au néant. Je grimace d'horreur et de chagrin. Qu'ai-je fais ? Mais il est trop tard pour reculer, mon cerveau s'est déjà éteint, me laissant juste avec le son des muscles de mes mollets pulser sous la peau. Je dois savoir comment elle s'appelle. Cette voix.

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Je suis peut-être en train de faire la plus belle connerie au monde.

Mute || Calvin HaytonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant