CHAPITRE 3 : Identité

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Je la regarde bizarrement. Elle me sourit timidement, ce qui ne lui ressemble pas :

- T'étais dans mon lycée, t'as passé le concours de médecine sur la table devant moi.

Je la fixe, voulant lui demander de continuer, savoir ce qui c'est passé. La vérité, c'est que je ne rappelle pas de grand-chose, juste quelques trucs vagues. Pour le moment, du moins. C'est la première fois que je sens mon cerveau pleinement éveillé. Je ne sais pas vraiment qui je suis, pourquoi et comment suis-je arrivé ici, ni qu'est-ce qu'étais ce mystérieux tunnel, et pourquoi je n'avais pas finalement choisi la porte plutôt que la vie.

- Tu te rappelles pas de grand-chose, c'est ça ?

J'hoche la tête en regardant par la fenêtre, un puis de lumière qui plonge la pièce dans une clarté presque aveuglante.

- Tu t'appelles Calvin Hayton, m'informe-t-elle, c'est normal d'avoir des trous de mémoires au départ, même si je n'ai pas encore étudié ce chapitre. Il ne faut pas que tu t'inquiètes.

Elle saisit un sac à dos East Pack derrière la chaise en bois, fouille un instant dans ce qui semble être la poche extérieure : je vois toujours un peu flou, incapable de discerner clairement son visage mais ça m'importe peu. Ma vision s'éclaircie parfois soudainement, me permettant parfois d'apercevoir plus mais elle retombe toujours. Elle finit par trouver un objet circulaire et plat et se lève pour me le donner. Mon bras est lourd et je dois faire un effort conscient pour garder ma main fermée. Je n'avais pas remarqué à quel point j'étais soudain pris de fatigue. Je vois dedans un visage aux traits doux, malgré une mâchoire marquée. Je crois qu'on appelle ça des « jawlines ». J'ai des cheveux bruns, avec des mèches ébouriffées claires, comme décolorées par le soleil. Ils sont en batailles et trempés de sueur mais  pas ce "en bataille et trempé de sueur" des films ou des romans d'amour. Je parle d'un "en bataille et trempé de sueur" du genre d'un gars qui vient de terminer un semi-marathon. Je ne me souviens pas avoir fait de grands efforts, pourtant. Sans doute que mes essais pour marcher tout-à-l'heure étaient plus éprouvants qu'ils n'en avaient l'air. Des reflets flous m'indiquent que mes yeux sont rouges, font un contraste étrange avec mon regard vert. Je remarque un nez un peu brusqué, à moins que ce ne soit mon imagination ou ma vision. Je crois reconnaitre une cicatrice qui traverse mon arcade sourcilière et pose le miroir à côté de moi. S'en était assez pour aujourd'hui.

- D'après ce que j'ai compris, tu as été plongé dans un coma d'un an et quatre-vingts sept ou six jours je crois, j'ai pas bien écouté. Par contre je ne sais absolument pas ce qui a pu le provoquer. Avec Maxime et Zack, on suit ton cas depuis deux mois et demi à peut-près.

J'hoche encore la tête, des millions de questions tiraillant mon esprit sans qu'elles ne puissent passer la barrière de mes lèvres.

- On t'a lavé régulièrement, si c'est une des questions que tu peux te poser. Pas moi- dit-elle en rougissant sous mon mouvement de recul presque imperceptible, je veux dire, des infirmières.

Je ne me souviens pas non plus être pudique, mais bon, je ne me souviens pas de grand-chose, donc pourquoi pas. J'aimerai parler mais c'est comme si mon corps n'y arrivais pas. Aenor scrute mon visage à la recherche d'autre questions muettes.

- Tu devrais manger, je t'assure. C'est pas du cinq étoiles, mais si tu veux réussir à marcher correctement d'ici-là, faudrait que tu te remplumes un peu.

Je jette un coup d'œil à mes bras, me rend compte de la fragilité de ceux-ci, mes poignets ne sont plus que l'illusion de ce qu'ils devaient être auparavant. Aenor se lève et me donne son portable, quoique un peu à contre cœur.

- Et tu devrais t'informer. Il y a beaucoup de choses qui ont changé en un an et demi.

Elle quitte la pièce et je regarde l'écran, sans savoir quoi faire. Il n'y a pas de code. Mes doigts pianotent lentement sur son smartphone et je fais un tour sur mon Facebook, à la recherche de renseignements. Je n'arrive pas à me connecter, faute de connaitre mon mot de passe et mon identifiant. Fait qui démontre à nouveau mon amnésie sélective : je sais l'existence de Facebook mais pas de mon compte ni de ce qui se rapporte à moi sur ce réseau. Alors je tape mon nom et prénom sur le moteur de recherche et je trouve un profil avec une photo qui ressemble terriblement à moi. Aenor a accès à mon compte dans sa totalité, ce qui confirme ce qu'elle m'avait dit plus tôt. J'ai énormément d'amis, de likes, de messages, s'en est presque bizarre. Mon dernier post remonte à un an et quatre-vingts dix jour, sans doute quelques jours avant ma supposée chute dans le coma si mes calculs ne sont pas trop faux. Il s'agit d'une photographie de moi, souriant, devant les portes d'une école de médecine avec la légende : « le concours est passé, cap vers l'école de médecine ! (: ». Sous la photo, des centaines de commentaires défilent, du plus récent au plus vieux. Je remonte les messages pour lire ceux qui datent le plus mais mon regard est happé par certains.

Mute || Calvin HaytonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant