C'était une matinée de mai. Le début du printemps synonyme de floraison, le retour du soleil. Une journée spéciale sur le moment mais sans importance le jour suivant.
Comme à mon habitude, je me rendais rue Bobillot dans le 13e arrondissement de Paris. Je m'asseyai sur un banc vert que j'avais fini par voir comme ma propriété.
Je me plaisais à observer les passants. J'observais tout un chacun, tentant de reconstituer les vies et histoires de chaque personne. Les petits gestes quotidiens qui paraissent insignifiants mais que je prenais plaisir à détailler. Cette activité était devenue pour moi, une routine au fil du temps, chaque matin je m'accordais une petite pause de dix minutes profitant du soleil qui se dévoilait timidement et baignait la rue de ses premiers rayons. A force de revoir les mêmes visages, c'était comme si je suivais une série télévisée mais sans futilités, sans rôles. Les gens au naturel, insouciants parfois, tempétueux à d'autres moments. Cette activité faisait partie de ma vie, tout comme ces passants pressés.
Un jour pourtant, je vis une jeune femme qui m'était encore inconnue s'installer sur le banc face au mien, de l'autre côté du passage incessant des voitures polluant l'air de leur son et de leur odeur. Elle était très jolie, rousse avec des lunettes, et ce que je devinais être des tâches de rousseur. Elle sortit un livre et je la vis se plonger dans sa lecture, pénétrant dans un univers que seul cet objet insignifiant peut vous faire découvrir. Moi, je ne la quittais pas des yeux. Elle fronçait son nez à certains passages de son roman.
Par la suite, je la revis tous les jours et mon rendez-vous quotidien se reconstruisit autour d'elle. Je ne fis plus attention à mon entourage et gardai mes yeux rivés sur cette jeune femme qui prenait de plus en plus d'importance dans ma vie et dans mon esprit. Elle me fascinait. Peut être même trop.
Mon manège silencieux dura environ trois semaines. Trois longues semaines durant lesquelles mon univers tourna autour d'elle et de cette chevelure de feu. Depuis, elle avait changé de livre, s'attaquant à un plus gros pavé, nécessitant une plus grande attention de sa part. Je finis par connaître toutes ces manies, ses tics, mais rien de plus. Je savais tout d'elle sans lui avoir jamais parlé. Je ne lui adressais pas un mot mais des regards silencieux dans lesquels je mettais tous les sentiments que je ressentais à son égard alors que j'ignorais moi-même la signification des étranges sensations qui parcouraient mon corps lorsqu'elle apparaissait dans mon champ de vision. Pourtant, il me semble qu'elle ignorait jusqu'à mon existence.
Cette jeune femme prenait, inconsciemment, de plus en plus de place dans ma vie et finalement je me décidai à l'aborder.
Nous étions désormais au début du mois de juin et il me fallut concentrer tout mon courage. Je me levai lentement et avançai jusqu'au passage piétons. Je m'arrêtai, laissant passer les voitures, et mon souffle se fit plus court lorsqu'elle se dessina plus nettement devant mes yeux.
Soudain, j'arrivai devant elle et ce fut comme si ma traversée avait été un rêve éveillé. Je ne comprenais pas comment je me trouvais face à elle qui avait, d'ailleurs, levé les yeux de son roman. Je dus faire un effort surhumain pour ne pas défaillir lorsque nos regards s'accrochèrent. Ce fut très rapide mais suffisamment long pour que je distingue deux prunelles émeraude s'accordant à merveille avec son teint clair. Enfin je me lançai :
- Bonjour, dis-je timidement.
- Bonjour, répondit-elle quelque peu décontenancée par ma venue.
Un silence gênant s'installa entre nous et elle commençait déjà à replonger son nez dans son livre lorsque je me fis violence. Je n'allais pas baisser les bras si vite ! Je me refis une contenance et relançai poliment :