Chapitre 5

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            La copine de Fred et ses amis sont attablés autour de deux bouteilles de champagne, un peu à l'écart de la piste de danse au sol en verre. Manon nous présente les deux filles et les quatre garçons qui l'entourent : à sa droite, Marie, un jolie blondinette, journaliste de presse people, Salomé, la quarantaine, plantureuse et métissée, avocate, Julien DJ et compositeur. A sa gauche se trouvent, Anton un grand gamin androgyne, photographe, Hugo et Romain, la petite trentaine, gardes-du-corps.

J'engage la conversation avec Marie, notre activité professionnelle commune nous fournissant un sujet de conversation facile. Fred semble prendre du plaisir à parler avec Stéphane à en juger par ses éclats de rire. Manon, près d'eux, les écoute sans participer. Soudain, malgré l'éclairage violet je vois Julien blêmir et se renfrogner. Je questionne Fred du regard. Elle se lève et me fait signe de la suivre. Manon, qui elle n'a rien perdu de la scène, nous emboîte le pas.

Une fois rendues aux toilettes, Fred commence à expliquer que Julien lui a proposé un plan cul à trois et qu'elle a refusé. Manon demande mielleusement :

-Il ne te plait pas, Julien?

-Il n'est pas mal, beau sourire, belle gueule mais il a le cul un peu plat. En plus je ne le connais pas depuis dix minutes qu'il me fait part de ses fantasmes, je trouve ça un peu vulgaire.

- Ben y'a des stars qui sont moins difficiles que toi.

-Comment ça ?

-Tu sais qui c'est Julien en fait ?

- Non.

- C'est l'ex-mari de la princesse « bip », le papa de sa fille « bip-bip ».

- Ho ! Merde, c'est tout moi ça ! Heureusement que je n'ai rien dit de vraiment méchant.

- Oui, on a de la chance. Tu l'as seulement traité d'eunuque, pas de quoi en faire tout un plat !

Je suis entrain de me dire que finalement cette fille a le même sens de l'humour que nous quand elle explose :

- Fred ! Tu vas te calmer ! Je ne vous ai pas invité à cette soirée pour que vous détruisiez mon réseau amical et professionnel. J'aime beaucoup ces gens-là et j'ai besoin d'eux. Alors vous allez me faire le plaisir de vous montrer un peu aimable.

Fred s'excuse mollement et promet de se tenir à carreau. Manon en remet une couche :

- A partir de maintenant je ne vous lâche plus, je vous surveille constamment et pour vous éviter de faire d'autres gaffes je vais vous donner quelques précisions sur mes amis.

Bon, concernant Julien je crois que vous avez saisi qui il est, donc je passe. Marie de La Marque est rédactrice pour Love. Son mari est juge, ça peut toujours servir. Salomé Melki est l'avocate la plus en vue de Nice. Sa clientèle est composée d'hommes d'affaire de la côte et de stars. Elle...

A ce moment de l'explication, j'ai décroché. Non pas que Manon n'ait aucun talent de conteuse mais plus elle donne de détails, plus je me rends compte que nous allons avancer en terrain miné et qu'avec notre finesse légendaire, Fred et moi risquons de faire un carnage. Il y a tellement de sujets à éviter : le show-bizz, l'aristocratie, la politique, la justice, les affaires, la photo, la musique et j'en passe. Avec un peu de chance, nous pourrions peut-être parler sans trop de risque de la place de la lingerie dans les défilés de haute couture ou de la reproduction de la rainette grise en Bourgogne, des goûts (mais pas des couleurs, trop politiques), du temps prévu pour le week-end, des petits oiseaux qui chantent (mais uniquement en faisant bien attention de ne pas déraper sur le terrain glissant de la chasse, celui-ci pouvant rapidement devenir sanglant).

A force d'envisager le pire, je suis soudain prise de panique. Mon cœur s'emballe. J'ai de violentes douleurs dans le ventre. Mes jambes tremblent un peu. J'ai besoin d'air.

- Les filles, désolée je ne me sens pas bien, il faut que je sorte.

- Je t'accompagne. Manon, tu nous excuses. On te rejoint dans quelques minutes.

Nous quittons les toilettes. Manon retourne dans la salle alors que nous sortons sur la terrasse. Fred me regarde d'un air soupçonneux pendant que je glisse un comprimé de Xanax sous ma langue.

- Tu étais pourtant en pleine forme tout à l'heure. Que s'est-il passé ?

- Ben, je ne sais pas trop. Je crois que ta copine ne m'aime pas beaucoup. Ca me stresse un peu. Puis il y a aussi toutes ces histoires sur ses amis j'ai peur de faire des gaffes.

- Ha bon ? C'est plutôt rigolo pourtant !

Miss « sans-cervelle » trouve ça rigolo. Il ne manquait plus que ça ! Elle poursuit :

- Avec les amis de Manon, on est aux premières loges. On va avoir droit à du ragot de première classe. Toutes ces histoires croustillantes sur les people...

- Ca ne t'a jamais intéressé.

- Hé bien, justement, j'ai vingt-huit ans de lacunes à combler et je compte m'y mettre tout de suite.

- Tu ne vas pas demander aux amis de Manon de te raconter les histoires cochonnes des stars, des princes et des hommes politiques ?

- Ben si !

- Mais enfin qu'est-ce que ça peut te faire avec qui ou quoi ils couchent ? Encore que tu essayes de te renseigner sur l'éventuel changement d'un P.L.U. dans une ville du bord de mer ou sur de futures ventes aux enchères avec mise à prix d'ami, je le conçois mais que tu donnes dans la calomnie de bas étage ça me déçoit. Et puis tu risques de te mettre à dos ta copine.

- J'en prends le risque. Ca me passera peut-être mais pour le moment j'ai envie d'en savoir plus.

Je pourrais passer des heures à essayer de la raisonner, expliquer pourquoi moi je ne trouve pas ça drôle et pourquoi ça me fait trembler, mais ça ne changerait rien. Visiblement, Fred n'a pas envie de faire dans la diplomatie.

Je suis entrain de nous imaginer chassées du Rocher par une Manon furieuse et ses amis excédés quand un des traits de caractère de Fred me revient en mémoire. Elle est très bavarde. En fait, pour qu'elle obtienne ces fameuses confidences, il faudrait qu'elle arrive à écouter. Et là, j'ai un gros doute. Au moment de sa conception il y a dû y avoir un bug et la fonction « écoute » est passée à la trappe. Je ne parle même pas d' « écoute attentive » et d' « enregistrement durable de l'information » car même le programmateur ne devait pas connaître. Par contre il n'a pas été chiche sur « monopolisation totale et sans concession de la parole ». Cette fille a un débit de mitrailleuse. En règle générales, ses interlocuteurs, après deux ou trois tentatives infructueuses de réplique, s'assoient et attendent qu'elle ait terminé. Ils auraient même tendance à s'enfoncer bien profondément dans leur siège pour éviter de se prendre une balle perdue. Dans ses conditions, même si les amis de Manon ont envie de révéler des secrets croustillants à Fred, je pense qu'ils n'y arriveront pas. Je suis donc rassurée. Je vais donc la laisser essayer de glaner ses précieuses informations, sans plus me faire de souci, car je sais à présent qu'elle fera chou blanc.

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