Chapitre 6

31 5 0
                                    


Après cinq minutes passées sur la terrasse, je me sens prête à retourner affronter les autres. Je prends une profonde inspiration et je replonge dans la boite, enfin plus exactement dans... le videur. Soit j'ai mal évalué la distance qui nous séparait, soit il a bougé. Je l'ai percuté de plein fouet. Un autre s'en serait trouvé ébranlé ou tout au moins un peu déstabilisé. Lui n'a pas bronché. Pas un cheveu, pas un cil, aucune partie de son anatomie n'a été dérangée. Il est resté stoïque, les bras croisés pendant que je masse mon épaule endolorie. Il finit par demander si je me suis fait mal. Bien sûr crétin ! Ca fait rarement du bien de percuter un mur à grande vitesse et sans air-bag ! Au lieu de ça, je réponds hypocritement avec mon sourire le plus charmeur :

- Un peu, mais ça va aller.

Il n'est jamais bon de se mettre un videur à dos. Quand en plus il est aussi beau que celui-ci, observer cette règle devient un réel plaisir. Mon videur est une pure merveille : un mètre quatre-vingt-dix de muscles, des cheveux bruns très courts, des yeux verts avec de longs cils noirs, une mâchoire carrée, un sourire aux dents blanches, des lèvres pulpeuses encadrées de deux fossettes, le tout empaqueté dans un costume gris de bonne coupe. Concernant le bon fonctionnement de son cerveau, je n'ai aucune certitude. Toujours est-il qu'on a tout de même réussi à lui inculquer les rudiments de notre langage. Tous les espoirs sont donc permis. Avec un peu de chance, il arrivera peut-être à signer le registre le jour de notre mariage. Peut-être même pourra t'il m'aider à faire réviser leurs tables de multiplications à nos cinq enfants. Evidemment que c'est à ça que pense une célibataire de vingt-huit ans quand elle entre en collision avec un beau garçon. Que croyez-vous ? Qu'elle envisage de faire un constat et une déclaration à son assurance ? Qu'elle porte plainte et réclame des dommages-intérêts ? Mais non ! Elle se dit simplement qu'il faut qu'elle l'épouse le plus vite possible. Je me vois déjà entrain de saliver sur les cartes des traiteurs, choisir les alliances, la robe de mariée, les dragées, faire le plan de table, décider des chansons que jouera l'orchestre, la destination de la lune de miel. J'en suis-là quand mon témoin, enfin Fred me tire de ma rêverie :

– Bon, tu viens ?

– J'arrive.

Dans ma tête, l'orchestre a cessé de jouer la marche nuptiale. Les enfants ont grandi, ils ont quitté la maison. Mon videur de mari et moi avons divorcé. Il me trompait avec une minette de vingt ans rencontrée en boite. Il m'a juste laissé le chien.

– Merci Fred.

– Quoi, merci ?

– Tu viens de m'éviter de gâcher vingt ans de ma vie avec ce type.

– Mais de quel type tu parles ?

– Le videur au regard de braise, pardi !

– Ne me dis pas que tu es encore tombée amoureuse !

– Ben si, mais c'est passé. Ca doit être à cause de la pleine lune...

– Ce n'est pas la pleine lune !

– Alors c'est parce que la Saint-Valentin approche.

– Et puis quoi encore ? Quand ce n'est pas la Saint-Valentin, c'est Sainte-Catherine, ou Saint-Sylvestre. Tu devrais arrêter de lire le calendrier, ça ne te réussit pas du tout ! De toute façon tu as toujours une bonne excuse pour t'amouracher d'un nul, c'est lamentable ! Après le pompiste, le livreur de pizza, le manutentionnaire de chez Carrefour, voilà le videur !

– Il n'y a pas de sot métier.

– Bien essayé, mais il y a de sottes gens. Et celui-là m'a l'air bien gratiné. Qu'est ce que tu fais de tes critères de sélection ? Tu crois vraiment qu'il entre dans le moule ton videur ?

– Je ne sais pas... Imagine, c'est peut-être le prince héritier d'un tout petit pays et ses parents richissimes et branchés humanisme ont voulu qu'il fasse ses preuves. Ils l'ont envoyé à l'étranger sans argent afin qu'il se coltine un peu avec la vraie vie avant de rentrer prendre les rênes de son royaume.

– Mais oui ! Et il est devenu videur de night-club à Monaco, tu parles d'une action humanitaire !

Bon je dois avouer qu'à ce moment de notre dialogue, je n'y crois plus vraiment moi non plus à mon histoire, mais j'insiste :

– Ben ça se peut ...

– Tu veux que je te dise quel est ton plus gros problème Diane ?

– Hum, suis pas sûre...

– C'est ton imagination ! Vraiment trop fertile, elle te joue des tours ; Tu vois un caillou et le Petit-Poucet n'est pas loin. Il faut tout laisser tomber pour partir à sa recherche. Si je suis bien ton raisonnement, le videur c'est Peau-d'Ane. Non vraiment, on t'a raconté trop de contes de fées quand tu étais petite, tu n'es plus dans la réalité. Ce mec, est un videur, point ! Une espèce de montagne de muscles qui se bagarrait tout le temps avec ses petits camarades et qui s'est fait virer de l'école en CM2. Résultat : Il a un corps superbe et un cerveau atrophié. Laisse tomber, ce n'est pas l'homme de ta vie. Allez ! Suis-moi ! On y retourne.

Et là je prends une décision qui sera lourde de conséquences : je choisis d'écouter Fred.


JackpotOù les histoires vivent. Découvrez maintenant