Chapitre 2 : Tueurs, Survivant, Fugitive

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La prise solide comme l'acier enserrant ma gorge devient d'un seul coup mon Némésis. Elle m'immobilise. Me neutralise. Me tue.

Comme la lente poigne du boa. Je dois m'en libérer !

Je me débats tant bien que mal, mais j'ai beau me rebiffer, la pression contre ma trachée ne s'en fait que plus lourde. Je ne veux pas mourir ! Pas encore !

Les bords de mon champ de vision s'obscurcissent. Je cille et glapis une exclamation étranglée, submergée par une explosion de panique.

- Lâche...moi, croassé-je.

Une sirène de police s'élève soudain non loin de là. Des lumières bleues et rouges se fracassent contre le mur à l'autre bout de l'allée. L'homme étrécit les yeux et jette un bref coup d'œil sur le côté. L'étau qui écrase ma trachée se volatilise brusquement. Je chancelle et tousse, pantelante.

Je n'ai pas le temps de récupérer mon souffle qu'il m'empoigne par le bras et m'entraîne à l'autre bout de la ruelle. Celle-ci débouche sur une rue déserte, bordé d'un talus au fond duquel passe une voie de poids lourds en terre battue. Un peu plus loin à droite, un pont enjambe la route. Des voitures le traversent à toute vitesse.

L'homme inspecte rapidement sa droite, puis sa gauche. Le mouvement vif de sa tête envoie des mèches de cheveux se coller à son front mouillé de sueur. Il me pousse ensuite devant-lui. Nous traversons la rue, dévalons le talus, et nous arrêtons dans la pénombre dispensée par le pont. Au dessus de nos tête les pneus rugissent sur l'asphalte. Je n'attends pas d'avantage pour m'arracher à sa poigne et m'écarter. Il se tourne brusquement vers moi, mais je ne fais que reculer de quelques pas. Inutile d'essayer de fuir. Constitué comme il est, alerte et vigoureux comme il paraît, il me rattraperait en moins de deux.

J'écarte les bras :

- Et maintenant ? Demandé-je effrontément.

Son humanité finit enfin par se manifester, miroitant dans ses yeux. Il a l'air confus. Au lieu de me toiser fixement comme il l'a fait jusqu'à présent, il cille à plusieurs reprises. Les doigts de sa main gauche fléchissent. Une fois. Deux fois. Il prend finalement la parole :

- Mes ordres ne te concernent pas. Mais tu es un témoin.

Sa voix est rauque et profonde. Le duvet de ma nuque se dresse. Je frotte mon bras, encore sensible après avoir été agrippé si solidement.

- Vraiment ? Je n'ai aucune idée de qui tu es. Je ne sais pas ce que tu as fait ou ce que tu vas faire.

- Tu m'as vu. C'est suffisant.

Suffisant. Je c'est ce qu'il veut dire par là. Et je n'ai aucune réponse, aucun argument à lui opposer. Alors je reste muette. Il fronce les sourcils. Les durs yeux bleus se posent à nouveau sur moi.

- Pourquoi tu m'as suivi ?

Parce que tu m'as vu, pensé-je.

- Je ne sais pas, répondis-je.

Ses traits se durcissent, m'indiquant que je ferais mieux de développer ma réponse.

- D'accord ! M'exclamé-je. Écoute, c'est juste que.... Tu n'avais rien à voir avec tous ces gens, là-bas et... et je voulais juste savoir pourquoi.

- Si tu le savais, je devrais te tuer.

La réponse laconique me fait me raidir. Ma réaction ne lui échappe pas, et il s'adoucit. Sa poitrine se soulève alors qu'il pousse un soupir.

- Tu as quel âge ? Treize, quatorze ans ?

Je croise les bras, la tête rentrée dans les épaules.

- Je ne sais pas.

La perplexité s'accroît sur son visage. Des voix se font entendre, accompagnées de rapides bruits de pas. Je me crispe et recule dans l'ombre, mais ce n'est qu'un groupe d'adolescents qui ne nous remarquent même pas. L'homme m'étudie pensivement. J'évite son regard en me mâchouillant la lèvre.

- Rentre chez toi. Et oublies que tu m'as vu, dit-il au bout d'un moment.

La réplique ne franchit jamais mes lèvres. L'homme les remarque en même temps que moi. Tels des spectres, des silhouettes armées émergent de l'obscurité, à quelques mètres de nous. Uniformes noirs sous les gilets par-balles. Masques et lunettes nocturnes.

Mon cœur s'emballe violemment. L'homme réagit au quart de tour. En l'espace d'une fraction de seconde, il m'attire derrière un pilier, saisit son pistolet, et fait feu sur les intrus. Ils ripostent aussitôt. Je me recroqueville, les mains sur les oreilles. Tout n'est plus que sifflement de balles, crachotement d'armes et explosion de ciment. Sonnée par le chaos, je mets un certain temps à prendre conscience que le poids sur mon épaule, la force qui me maintient contre le pilier, n'est autre que la main de l'homme.

Aussi soudainement qu'ils avait éclatés, les coups de feu cessent.

Je lève les yeux vers lui. Il incline la tête pour m'enjoindre silencieusement de ne pas bouger. Le net cliquetis de son arme résonne étrangement dans le silence alors qu'il la recharge d'un geste fluide, automatique. Il quitte l'abri, probablement à la recherche d'éventuel survivant.

Survivant. Le mot fait écho dans mon esprit. Il implique que les autres sont morts. L'homme les a tué. Et avec quelle aisance ! Pas une seule seconde d'hésitation. C'est ça, le prix de la survie ? Je me sens nauséeuse, glacée.

Je n'ai pas l'opportunité de méditer plus longtemps. Un homme en tenue de combat surgit à ma gauche, bras levé, prêt à me projeter au sol. Mon propre bras fulgure, opposant au coup qui s'abat une résistance étonnement solide pour une jeune fille comme moi. Derrière mon assaillant, je discerne l'homme aux yeux stupéfiants. Je n'ai que le temps de capter son regard -qui est maintenant écarquillé de surprise sous ses sourcils froncés- avant que quelque-chose ne me percute le crâne, l'emplissant de lumière aveuglante.

The Rogue SoldierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant