8-Jack

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J'ai peur qu'elle me suive en dehors de la salle de classe et à travers les couloirs bondés pour essayer de me faire dire ce qu'elle souhaite mais elle ne le fait pas et j'en suis rassuré. Cette professeur est plutôt du genre psychologue qui veut a tout prix tout connaitre de notre vie et elle est très étouffante. Parfois, depuis la mort de Abby, elle me suit même jusqu'au self pour que je puisse lui dire ce que j'ai sur le coeur mais je l'évite sans cesse en me réfugiant dans les toilettes ou dans des couloirs déserts.
Je sais qu'elle veut bien faire mais face à ses agissements, la seule chose que j'ai envie de faire c'est de partir en courant et de laisser quelques larmes couler sur mon visage. Je sais, je suis fragile, mais après avoir subi un tel choc, pour moi, mon état émotionnel n'est pas près de s'améliorer. Il empire de jour en jour sans que je puisse rien y faire.

J'arrive devant la salle d'étude suivit d'une dizaine d'élève en train de chahuter.
Mon regard se perd dans la foule. Je ne peux m'empêcher de regarder toutes les personnes présentes en espérant voire une chevelure rousse et un sourire éclatant mais je n'y arrive pas. Je ne vois que des visage banals, aux cheveux blonds ou bruns avec des yeux vert ou bleus. Tous des moutons. A se suivre les uns les autres, les même coiffures, les même gestes, les même sacs, les même vêtements.
Puis, une petite tache dans ce troupeau sans aucune originalité. Une petite tache rousse avec une jupe longue, un débardeur blanc et des yeux vairons. C'est comme si elle était le vilain petit canard de la classe, la fille qui ose, la fille différente.
Ou tout du moins à mes yeux. Mais comment ne pourrais elle pas l'être avec son horrible ressemblance a Abby? Oui, pour moi, elle est celle qui fait revivre mes pires cauchemars et mes pires hontes. Je n'ose même pas la regarder en face. Je ne sais pas comment j'ai pu la rater pendant tout ce temps. Comment j'ai pu la louper, elle et ses magnifiques yeux. Même ses rondeurs sont belles a regarder.

Je ne me rends pas compte tout de suite que je suis en train de l'observer depuis cinq minutes et qu'elle a les yeux rivés sur moi. Elle est devenue rouge comme une tomate et ses poings sont crispés. Je détourne le regard et rentre dans la salle les mains tremblantes. Je n'ai aucune envie de repenser à elle et à son regard timide et perdu.
Une surveillante me demande d'aller à une place devant son bureau, au premier rang.
Bien sur, je ne peux pas protester au risque de me faire punir mais je déteste cette place. C'était celle ou j'allais tout le temps avant. Avec elle. Et d'y retourner encore aujourd'hui m'ai juste insupportable. Ça a toujours été les surveillants qui plaçaient les élèves et jusque la cela ne m'avait jamais déranger car je me retrouvait toujours a cote de Abby, nous parlions sans nous faire gronder et échangions des regards complices sans arrêt, je la regardais me noter des mots sur une feuille et me les montrer avec son petit sourire éclatant de joie et de bonheur.

«-Devant, à côté du jeune homme aux cheveux noirs en face de mon bureau.»
Je frissonne. Ce "jeune homme aux cheveux noirs en face du bureau" c'est moi. Je ne me retourne pas et reste de glace en attendant que mon nouveau voisin s'assoit a côté de moi.
Une épaisse chevelure rousse s'approche de moi et je sais déjà qui se cache derrière cette crinière de feu. Elle va me suivre partout, je le sais, c'est comme un mauvais pressentiment.

L'heure passe petit à petit et je la vois griffonner sur sa feuille des mots et des petits schémas, qui s'alignent côte à côte pour former un long texte surplombé de quelques dessins. Depuis tout à l'heure, je suis obnubilé par ses mains et son stylo qui parcourent le papier dans un léger bruit de frottement. Je ne pense pas que ce soit des devoirs étant donné que cela fait quelques mois que les professeurs ne nous ont pas donné des devoirs dignes de ce nom. J'arrive à apercevoir quelques mots qui sont écrits plus lisiblement que d'autres et qui se distinguent et j'en viens a la conclusion que ce qu'elle écrit sur sa feuille est un texte ou quelque chose de ce genre sortant sans doute de son imagination.
-Qu'est ce que tu... Qu'est ce que tu écris?
Je lui ai demandé ça comme si c'était normal, comme si elle était une fille comme les autres avec lesquels je pouvait parler sans problème, ce qui n'est pas le cas. Au fond de moi, c'est l'Apocalypse. Comment ai-je pu sortir une phrase comme ça presque sans hésiter? C'est impossible... Et pourtant..
Elle semble aussi surprise que moi par mes paroles et se retourne vers moi en sursaut, ses joues s'empourprent presque aussitôt.
-Je... Je...euh c'est... Un tex...texte... que j'ai écris...
Je crois que je n'ai jamais vu quelqu'un bégayer ainsi. Même moi je ne bégaye pas comme ça.
Elle cache presque sa feuille avec ses mains comme si elle ne voulait pas que je la vois et plante ses yeux vairons dans les miens, nous plongeant ainsi tous deux dans un moment de génance totale.
-Arrêtez de parler tous les deux devant! Ceci est un avertissement, il n'y en aura pas de deuxième. On est en étude pas à la foire et en étude, comme l'indique son nom, on étudie, c'est pas une "bavarderie"!
La voix nous fit sursauter. Je regarde le surveillant qui a pris la parole avant d'acquiescer puis me retourne vers la jeune rousse qui a déjà détourné le regard. Je soupire, regarde autour de moi espérant trouver quelque chose qui pourrait faire passer le temps. J'ai l'impression que cette heure va être longue...

Lorsque la cloche sonne la fin de l'heure d'étude, je pousse un léger soupir de soulagement. Cette heure d'étude a été un enfer: devoir observer ma voisine de table écrire des choses que je ne pouvais lire, observer ses fines boucles rosées en espérant trouver quelque chose qui puisse la différencier de Abby sans jamais rien pouvoir lui dire ni lui faire, tout cela a été un enfer.
J'avais une envie irrépressible de toucher sa peau, de sentir ses doigts froids s'entrelacer avec les miens, mais je savais que c'était impossible et que jamais ça ne pourrais se faire tout simplement parceque je n'en aurais pas le cran.

RavenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant