1ère aventure - La chèvre de M. Latache, partie I

2.7K 296 89
                                    







LA DERNIÈRE CHOSE À LAQUELLE on s'attend, un dimanche matin, c'est de trouver un animal sauvage dans son jardin. Enfin, le mot « sauvage » n'était peut-être pas très bien choisi pour la petite chèvre qui broutait les basilics dans le fond du potager de Robin. Quand il a vu ses petites cornes qui déracinaient tous les légumes de sa mère, son pelage qui était aussi crade que ses cheveux les jours de sortie en forêt et le misérable bout de corde qui pendait au bout de son cou, Robin est retourné au lit. Parce qu'il s'est dit, tout simplement « ne t'inquiète pas mon bonhomme, t'es juste encore en train de rêver. »

Sa mère a crié, et à ce moment-là, il était sûr qu'il n'était plus en train d'halluciner quoi que ce soit. Les cheveux en bataille, un pantalon en soie marron qui lui serre sa taille, la mère de Robin est sur le pas de sa porte. Dans une main, elle tient sa tasse de café fumante et dans l'autre, sa bouteille de cidre, d'une poigne statique. Elle pousse un autre cri, visiblement bouleversée par la bête qui est en train de dévorer toutes ses feuilles douces.

— Robin, tu m'expliques pourquoi on a un phacochère dans le potager ?

Le jeune homme, à moitié réveillé, s'est planté devant la porte lui aussi, et regarde l'animal faire son carnage.

— J'en sais vraiment rien, maman.

Sa mère ferme les yeux, et en secouant la tête, elle verse la moitié de son flacon d'alcool doux dans sa boisson chaude du matin. C'était quelque chose qu'elle faisait tout le temps ; il n'y avait pas un matin où Mme. Dubosquet ne prenait pas son cidre avec son café noir. Une odeur amer venait piquer les narines de la bonne femme, et elle faisait claquer ses ongles contre la porcelaine de sa tasse.

Robin, lui, reste encore quelques minutes devant l'animal qui est en train de saccager son jardin. Des frissons dans le corps, il se passe les mains sur ses bras nus, un peu confus. Il était censé faire quelque chose ? Il aurait bien voulu, vraiment, mais il n'y a tout simplement aucun manuel, ou tutoriel sur internet qui vous dicte quoi faire quand on se réveille avec une chèvre dans son jardin.

Et puis, de toute manière, au massif des Millevaches, dans le fin-fond du Limousin français, une maison sur trois a internet. C'est un endroit qui sent la paille humide à longueur de journée, où la ville s'étale sur seulement une petite dizaine de rues où sont entassés des petits magasins, et où l'école est faite en briques qui ont survécus à la première guerre mondiale. Robin, lui, n'avait rien contre cet endroit. Par contre, il avait quelque chose contre les bêtes sauvages qui vous pourrissaient le dimanche matin.

Il entre dans sa maison, mettant toute cette histoire de côté pendant les prochaines minutes. Les chaises en bois de la salle à manger sont abîmées et tachées sur tout les rebords, et l'écorce dans laquelle elles sont taillées semble plus vieille que les anciens du coin. Il se met à table, en essayant d'oublier qu'il y a une chèvre derrière son mur, et s'empiffre des petits bonheurs du petit-déjeuner. Des miettes de pains sur les lèvres, de la confiture de sa mère pleins les doigts, il décide enfin à demander :

— On va en faire quoi, de ce truc ?

— Le rendre à son propriétaire, j'imagine, lui répond sa mère en entassant les pots de confiture dans son armoire, il ne doit pas y avoir beaucoup de personnes qui ont des chèvres, dans le coin, si ?

— Maman, on est au Limousin. La capitale des vaches, des chèvres et des poules blanches, c'est quelque chose de normal d'élever des gosses en les faisant se faire poursuivre par des dindons, dans le coin.

Sa mère glousse, et avec un sourire sournois, elle lui dit, d'une voix douce :

— Baaaah, t'as rien prévu pour ton dimanche tout de manière ? Ça va t'occuper la journée, tiens. La bestiole est tellement petite que je suis sûre qu'elle rentre dans le panier de notre bicyclette.

Les onze aventures calamiteuses de Robin DubosquetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant