Une arrivée fracassante

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Six heures du matin, le bruit agaçant du réveil se fit entendre. La nuit avait été agitée et cela se voyait sur mon visage. J'avais pour habitude de toujours mettre mon réveil plus tôt que nécessaire, mais encore plus aujourd'hui, le jour de la rentrée. Comme je n'avais pas réussi à dormir, la nuit m'avait semblée interminable, tant je m'étais imaginée les pires scénarios possibles auxquels je pourrais être confrontée. Heureusement pour moi, une amie de longue date m'avait suivie dans ce nouveau lycée, voilà bien la seule chose qui me rassurait. Une fois habillée, je vérifiais tout ce qui se trouvait dans ma valise une nouvelle fois. Il ne fallait rien oublier, je partais tout de même pour trois longs mois.

Une fois dans la voiture, je me sentais emprisonnée par la panique, l'angoisse grandissait en moi jusqu'à envahir chaque parcelle de mon corps, je voyais les panneaux défiler et chacun d'eux me rapprochait un peu plus de cet endroit où tout me serait inconnu. Mon corps se crispait et se relâchait brutalement, me faisant vivre de très longues minutes qui me paraissaient interminables. Mais avant que je ne puisse prendre conscience de toute l'ampleur de la situation, la voiture fut garée dans le parking du lycée qui se trouvait au beau milieu de la nature. Partout autour de nous, on voyait de la verdure, des forêts, des champs, du vide, un lycée éloigné de tout pour pouvoir entièrement se consacrer aux études m'avait dit mes parents, c'est dans ce lycée, le lycée Etime que j'allais désormais passer le plus clair de mon temps. Ma mère sortit de la vieille voiture dont les portières grinçaient horriblement pour en retirer ma valise du coffre. Voyant que je ne bougeais pas, souffrant encore de sueurs froides, elle me demanda de descendre, elle m'embrassa et partit en vitesse au travail. J'aurais aimé, pour une fois, qu'elle reste plus longtemps à mes côtés. J'étais tétanisée, incapable de bouger. Cependant, d'autres élèves qui semblaient bien plus sereins arrivèrent et le mouvement de cette foule me poussa à les suivre.

Il y avait une grande cour en goudron avec de part et d'autre de grands carrés de pelouse verdoyante et quelques vieux bancs en bois que le temps avait abîmés. Encore en suivant la masse d'élèves, je rentrai comme pour la première fois, à mon tour par la grande porte. L'intérieur de l'établissement me semblait comme inconnu, épuré, les murs de l'accueil étaient d'un gris clair avec sur la droite, une rangée de chaises en plastique noires et le secrétariat qui se trouvait à ma gauche était vide. Mais ce que tout le monde regardait n'était ni les chaises ni le secrétariat, mais bien la vingtaine de professeurs. Ils se tenaient debout sur une estrade : ils étaient si impressionnants avec leur visage fermé et leur regard noir. Ils installèrent un grand malaise silencieux, leur froideur était si forte qu'aucun d'eux n'eut besoin de prononcer de mots pour parvenir à ce résultat. Une fois les grandes portes fermées, un professeur prit la parole. Il nous proposa d'aller où bon nous semblait pour faire connaissance avec les lieux. Une telle proposition sembla étrange aux yeux de tous, jamais personne n'avait entendu de telles choses, surtout que la plupart de nous avait eu l'occasion de visiter le lycée lors des portes ouvertes. Après cette annonce des plus inattendues et quelques instants de latence, la masse d'élèves difforme, agglutinée devant l'estrade se dispersa. Avant de partir où que ce soit, je me mis à la recherche de Nora Dastale qui était venue étudier dans ce lycée pour que nous ne soyons pas séparées. Nous nous connaissions depuis notre plus tendre enfance, elle et moi avions grandi dans le même quartier. Nous étions allées à la même école, au même collège et nous nous apprêtions à commencer le lycée ensemble. C'était une fille toujours apprêtée et magnifiquement vêtue. Toujours à la mode, elle avait de longs cheveux châtains clairs qui selon elle étaient impossibles à dompter, alors, elle lissait sa crinière tous les matins sans aucune exception. Nora avait des yeux, mais quels yeux ! Ils étaient verts, pétillants, pleins de vie, ce qui la représentait assez bien. Il faut le dire, elle avait toujours le moral au plus beau point, elle avait le don extraordinaire de toujours voir le côté positif des choses même lorsqu'il n'y en avait pas.

Après qu'un certain nombre d'élèves se soit dispatché, je vis Nora, l'œil guetteur, qui semblait, elle aussi, être à ma recherche. Lorsque nous fûmes réunis, un sentiment de sérénité reprit le dessus sur mon angoisse et redessina un véritable sourire sur mon visage. J'étais si heureuse de la voir que je lui sautais au cou, cette fille était pour moi comme une grande bouffée d'oxygène. Nora et moi, encore encombrées de nos valises, allâmes les poser dans l'escalier de pierre de l'internat, sans même savoir dans quelle chambre nous serions. Nous montâmes à l'étage, les premières marches étaient déjà bondées d'énormes sacs et soudain, un cri. Un cri de terreur provenant de l'étage du dessus, poussé par une fille, retentit. Nous nous regardions avec Nora, ne sachant pas quoi faire, s'il fallait courir pour aller voir ou... mais ce cri fut rapidement suivi d'un second, provenant cette fois du couloir de l'accueil. Les hurlements s'enchaînèrent jusqu'à ce qu'il n'y eut plus aucune place pour le silence. La panique rattrapa mon cœur et l'étouffa, lui causant des palpitations. Nora fronçait les sourcils, nous étions effrayées. Seulement des hurlements de terreur tout autour de nous, des cris d'agonie courts mais si intenses qu'ils pénétraient en nous comme pour nous faire ressentir la douleur des gens qui les poussaient, que se passait-il ? Nora et moi, encore dans l'escalier, jetâmes nos valises pour prendre la fuite, apeurées pas ces beuglements stridents. Mais que pouvait-il bien se produire ? Nous arrivâmes essoufflées dans le hall d'accueil. Dans les couloirs de droite, nous vîmes trois corps d'élèves étendus au sol, ils ne saignaient pas, mais ils ne bougeaient pas. Cette vue créa une panique en nous, une panique trop intense, qui fit verser des larmes à Nora et qui me mit dans une transe, mon esprit était embrouillé par la peur qui l'envahissait. Une fois devant la porte, nous fûmes prises de terreur en voyant que celle-ci et toutes les autres d'ailleurs n'étaient pas ouvertes. Ils nous avaient barricadées, il n'y avait plus aucun moyen de s'échapper du bâtiment. Nora prit alors ma main et courut dans l'escalier de l'internat. Sa peau était moite mais frémissait tant la peur la possédait. Nous franchisâmes les marches deux à deux jusqu'à arriver au dernier étage. Essoufflées, nous entrâmes dans une chambre au hasard. Nora se dissimula dans l'armoire elle laissa la porte entrebâillée pour se rassurer et pour observer la pièce de ses grands yeux qui étaient remplis de larmes et de terreur. Moi, je me jetai sous le lit, prise de panique. Et là, au bout de seulement quelques minutes, la porte de la chambre grinça. Je bloquai ma respiration. La personne entra et je vis des chaussures en cuir ciré, un professeur. Je sortis la première de sous le lit et Nora me suivit, il s'agissait bien d'un professeur que nous avions vu à notre arrivée. Il était sur l'estrade. J'eus un instant de sérénité de voir un adulte calme parmi tous ces cris sanglants. Mais justement, en voyant ce calme inquiétant, après quelque secondes, je me rendis bien compte que quelque chose clochait. Les hurlements incessants n'avaient pas l'air d'avoir affolé le professeur, il était d'un calme bien trop grand pour la situation dans laquelle nous sombrions. Un instinct primitif me poussa à prendre la fuite, mais je n'eus pas le temps de prendre Nora par la main que le professeur sortit de sa veste une baguette de bois, qui se déplia en lance dorée. Nora, pétrifiée de peur, ne bougeait pas malgré mes hurlements. Je la pris alors par le bras pour essayer de la tirer, mais rien n'y faisait : elle était là, plantée devant cette homme, les yeux grands ouverts, elle pleurait et ne bougeait plus. Le professeur se tenait devant la porte, nous bloquant la sortie. Que faire ? Partir ? Me sauver ? Il m'était impossible de laisser Nora ici, je resterais avec elle. Elle était pétrifiée, j'essayais de toutes mes forces de la tirer par le bras en lui hurlant de bouger, mais rien n'y faisait. Il leva alors sa lance et perfora sans effort la poitrine de Nora au niveau du cœur, sa chute fut immédiate.

Je hurlais, je pleurais, je ne comprenais rien. Je n'avais rien pu faire encore une fois. Le professeur retira sa lance en posant un pied sur le corps inerte de Nora qui, malgré la blessure, ne baignait pas dans son sang. Il me regardait dans les yeux. Les siens étaient vides, froids, glacials. La peur ankylosait mes membres, me rendait vulnérable malgré mon envie de fuir. Je regardais, impuissante. Il franchit le pas qui nous séparait. Mes pensées étaient toutes floues, embrumées et se heurtaient les unes aux autres dans la peur. Sa lance vint perforer mon cœur, je sentis comme une grande décharge électrique dans toutes les cellules de mon corps, puis le noir, le souffle froid s'empara de moi et de ma peur. Je me sentis glisser au sol qui, lorsque ma tête le heurta, fit un bruit grave qui résonna en moi. Mes paupières déjà mi-closes se fermaient, plus rien que le noir, je ne pouvais plus bouger, mon corps n'était plus le mien, cependant je parvenais encore à penser. Comme seule dans mon esprit, seule dans le noir, était-ce donc cela la mort ?

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