Encadré par le Tribunal et la gare SNCF, le commissariat était implanté à proximité du cœur de la ville, sur un boulevard ceinturant le centre. Bâtiment en forme de L, il comprenait un rez-de-chaussée surmonté de deux étages et sa construction devait bien remonter aux années cinquante ou soixante au vu de sa devanture.
Garée sur le parking des visiteurs, le regard fixé sur la porte d’entrée réservée au public, Jordan poussa un profond soupir, ses doigts fins tapotant frénétiquement sur le volant. Cela faisait presque une heure qu’elle cherchait désespérément à trouver le courage de sortir du véhicule, de franchir la porte et… et quoi ? À partir de là, elle ne savait pas. Elle n’y avait pas réfléchi. Elle avait trouvé le courage de venir jusqu’ici, puis s’était dit qu’elle improviserait. Elle entrerait, irait la voir et… et improviserait. C’était son plan, ça lui paraissait bien sur le coup, mais maintenant… maintenant cela faisait une heure qu’elle était là à fixer cette fichue porte de commissariat, une boule d’angoisse lui nouant l’estomac.
Un sourire désabusé se dessina sur ses lèvres alors qu’elle secouait la tête. Elle avait parcouru plus de 5 000 km pour se retrouver ici, en France, dans la ville où elle avait grandi, et voilà qu’elle hésitait sur les derniers mètres.
Ridicule ? Non.
Pathétique.
Mais en vérité, ce qui la tracassait au point qu’elle n’avait presque rien pu avaler ces derniers jours, c’était qu’elle ne savait pas du tout à quelle réaction s’attendre. Et l’ignorance la rongeait littéralement.
Hmm, peut-être qu’elle me giflera. Ou alors... elle éclatera de rire devant mon audace. Jordan grimaça puis se mordilla la lèvre inférieure. Ou bien elle m’ignorera.
Son ventre se contracta légèrement et elle n’eut aucune difficulté à deviner laquelle de ces trois suppositions elle redoutait le plus. Il n’y a rien de pire que l’ignorance de ceux dont on désire tout le contraire. Elle secoua légèrement la tête. Bon, je ferais mieux de me bouger les fesses, car si j’y pense ne serait-ce qu’une seconde de plus, je n’irai jamais.
Décidée, elle prit une profonde inspiration et sortit finalement du véhicule avant de parcourir les quelques mètres qui la séparaient du bâtiment. Les températures étaient particulièrement élevées en ce début de mois de Mai et quand un courant d’air chaud l’accueillit aussitôt, elle fut contente d’avoir opté pour une légère robe d’été et une paire de tongs.
Poussant la porte d’entrée réservée au public, elle pénétra dans le hall et fut aussitôt surprise de remarquer que tout était semblable à son souvenir ; un vieux néon dispersait péniblement une lumière blafarde sur une partie de la salle et les larges ailes d’un ventilateur ornaient le plafond, brassant l’air de façon agréable. Au mur, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen était encadrée par les arrêtés préfectoraux d’ouverture et de fermeture des périodes de chasse ainsi que par les photographies et signalements d’enfants disparus. Sur sa droite, en continu du hall et à l’opposé de l’accueil, elle pouvait apercevoir deux cellules placées côte à côte ainsi que les salles de dégrisement.
L’hésitation la cloua un instant sur place jusqu’à ce que l’homme situé derrière le comptoir de la réception ne pose son regard sur elle. Âgé d’une cinquantaine d’années, il semblait soulagé de pouvoir enfin porter son attention sur quelque chose. Humpf, je ferais au moins un heureux aujourd’hui, pensa Jordan d’un ton désabusé.
— Mademoiselle ? Je peux vous aider ? demanda-t-il avec intérêt.
Jordan s’approcha d’un pas mal assuré, mais quand elle voulut répondre, la porte s’ouvrit de nouveau derrière elle. Des bruits de mouvements et de conversations lui parvinrent et bien vite, elle sentit son souffle se couper, son cœur s’accélérer et ses mains devenir moites. Elle ne l’avait pas encore vue, mais elle l’avait entendue. Sa voix, si douce, si mélodieuse. Elle l’aurait reconnue entre mille.
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Regrets (GxG)
RomanceDeux ans plus tôt, Jordan Miller a quitté la ville sans la moindre explication. Aujourd'hui de retour, elle est bien décidée à retrouver et s'expliquer auprès de celle qui a fait battre son coeur comme jamais personne ne l'avait fait auparavant : so...