Genèse 14;21

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L'air de janvier était froid. Le campus de l'université était décoré d'arbres nus et d'un ciel parfaitement bleu. Je plaçais ma cigarette entre mes lèvres et l'allumait avec un briquet qui arrivait en fin de vie. Je sentis mon écharpe rouge glisser sur mon épaule, alors de manière à la remettre en place quoi qu'ayant les mains pleines ; une cigarette à l'une et des bouquins à l'autre, j'haussais les épaules. J'expirais la fumée et fermais les yeux, la substance me montait à la tête et me faisait légèrement planer. Après une bonne douzaine de tafes, je l'écrasais sous mes converses blanches. Je soulevais mon sac à bandoulière sur mon épaule et l'ouvris, rangeant mon livre de Littérature Anglaise et de Philosophie. Ma faculté de langues étrangères appliquées m'offrait plusieurs choix ; anglais avancé, littérature anglaise, langues anciennes, philosophie grecque ou latine, et j'avais pourtant choisis russe, littérature française et philosophie occidentale. Dis comme ça, ces sujets semblaient être peu intéressants mais en réalité, ils ne l'étaient pas du tout. Je m'en mordais les doigts tous les jours à huit heures du matin quand mon professeur de philo en fin de vie, lui aussi, perdait le file de son cours et répétait la même phrase. J'aurais peut-être du aller en fac de droit.

— Étrange ce cours, n'est-ce pas ?
Je n'avais pas même remarquer qu'un garçon était à ma droite, fumant lui aussi. Il me tendit son paquet de Marlboro mais j'agitais mes Phillips Morris, mais remerciais le geste.
— Elle avait l'air possédée, dit-il en souriant. Je relevais le menton vers lui, il me dépassait d'au moins deux bonnes têtes. C'était le danseur de ce matin. Seulement, il avait cette fois un bonnet gris qui couvrait ses cheveux quoiqu'apparent sur le début de sa nuque. Il avait un livre coincé entre son bras et sa côte. Un long manteau camel soulignait sa silhouette très élancée. Je reconnaissais la chemise blanche qui semblait beaucoup trop fine pour un mois de janvier à New York. Puis il y avait son pantalon bleu foncé, taché de peinture. Je trouvais son look BCBG mais pas trop, assez amusant, je détournais le regard pour ne pas avoir l'air trop insistante et souris à moi-même.

— Ou alors simplement passionnée, rétorquais-je.
— Oui, aussi. Je cru l'entendre rire mais je n'étais pas sûre alors je me contentais de fixer mes pieds. Je n'avais pas du tout un look féminin, et je me maudissais intérieurement pour mes fautes de goût évidentes. J'avais un long gilet blanc en jersey qui tombait lâchement sur mes épaules, mon éternelle écharpe bordeaux qui avait bien trop vécue pour un simple morceau de tissu : elle était déchirée à quelques endroits et recousue à d'autres. Je portais mon jean noir Lévis préféré que j'avais vainement tenté d'accessoiriser avec une ceinture noire mais qui perdait sa couleur et se transformait en une sorte de gris immonde, même la partie métallique rouillait à vue d'œil. Et puis, on ne pouvait pas en dire plus de mes Converses qui avait parcouru des lieues et des lieues avec moi. Je les avais depuis cinq ans maintenant et je ne sais pas, une partie de moi, la plus adulte des deux soyons honnêtes, me disait de les balancer à la poubelle pour m'en acheter une paire plus descente ; mais l'autre criait que je ne pouvais pas m'en débarrasser, qu'elles regorgeait de souvenirs. Tant que mon cerveau et mon coeur ne s'étaient pas mis d'accord, je les rentabilisais.

Avec ce style qu'on ne saurait qualifié ni de dégradant ou vintage, je devrais sauver les meubles avec ma tête. Alors, j'affichais fièrement une peau métisse et de longs cheveux noirs et bouclés. Je l'aimais bien moi, ma tignasse africaine. On m'avait toujours complimentée sur la force et la beauté de mes cheveux. Depuis petite, c'était une masse informe mais tellement jolie, qui respirait mes origines. Je tirais sur une des boucles qui reprit sa place comme un ressort.

— Michaël, me dit-il me présentant sa main de manière très élégante. Je cru bien déceler un accent espagnol, souris et la serrais doucement.
— Mary. Notre poignée de main dura longtemps, et je me surpris à me perdre dans ses yeux. Il avait de profond yeux chocolat. Son visage était divinement bien taillé, tout droit sorti d'un magasin pour adolescentes. Un parfait mixe entre Enrique Iglesias et David Beckham. J'aurais tué pour dégager autant d'élégance et de charisme ; sa peau était halée et sans une imperfection, sa barbe naissante dessinait les traits de sa mâchoire impeccablement. Tant de beauté en devenait presque irritant.

Lorsque je remarquais que notre poignée de main avait duré de longues minutes, je retirais rapidement ma main et l'essuyais sur mon jean. Je sentais le rouge me monter aux joues. Il s'apprêtait à mettre fin à ce silence qui devenait pesant, mais je le pris de court.
— Tu pense que c'est réel ?
Je relevais la tête vers lui et lorsque je croisais son regard, je compris que ma question n'était pas claire :
— Je veux dire, Dieu, le Diable, la création et tout ça... enfin tu vois.
— J'avais compris, dit-il en souriant voyant que je me perdais dans mon explication. Et bien, tu sais je suis né dans une famille très catholique alors je pense que j'y croirais toujours un peu.
Il allait continuer mais je coupais notre connexion visuelle lorsque je sentis mon téléphone vibrer dans ma poche arrière. Je lui offrais un sourire désolé, et décrochais.
— Oui. C'est moi. Bonjour, oui oui. Très bien, merci beaucoup.
L'échange téléphonique n'avait duré que quelques secondes, je replongeais mon cellulaire dans mon jean, bien au chaud.
— Qu'est-ce que c'était ? Michaël sortit une seconde cigarette et l'alluma. J'étais surprise par l'impolitesse de sa question, mais me décidais à répondre.
— Le patron d'un café dans lequel j'avais postulé m'a rappelé.
— Tu travaille en plus de tes études ? Il semblait surpris qu'une jeune adulte ait une activité professionnelle en parallèle avec ses cours. J'hochais la tête positivement. Comprenant que ce sujet n'était pas le bienvenu, il embraya sur la météo. Je souris intérieurement par la stupidité du sujet : il devait se sentir mal à l'aise. Seulement, parler de mon travail me démangeait un peu. Je n'avais pas le choix, pour financer mes études. Ma mère était célibataire depuis toujours et subvenait piteusement aux besoins de ma petite fratrie ; mes deux petites sœurs étaient encore au collège et mon plus jeune frère venait d'entrer au lycée, le second terminait justement son année. Alors, pour lui enlever ce poids des épaules, je m'étais mise à bosser dans plusieurs endroits.

J'entendais Michaël commentait désormais les différences entre l'Amérique et l'Europe. J'avais retenu qu'il était espagnol et que ses parents voulaient qu'il ait une éducation très stricte.
— Je vais devoir m'en aller, dit-il ramenant son poignet vers lui pour regarder l'heure sur son énorme montre. Il descendit les deux marches sur lesquelles nous étions postés depuis une bonne heure maintenant. Il se retourna vers moi et je le surplombais.
— J'aimerais bien que l'on continue à discuter, si tu le veux bien.
Je fus surprise de son audace mais lui souris gentillement, touchée.
— Passe moi ton téléphone, déclarais-je en ressortant le mien. Je secouais la tête pour dégager une mèche de cheveux qui s'était collée à mes lèvres.
— Pardon ? Il pencha la tête sur le côté, perplexe. Une brise me secoua de frissons.
— Je te donne mon numéro.
— Oh ! oui, d'accord, très bien. Il s'exécuta et sortit un smartphone dernier cri. J'entrais mon numéro. Je le lui tendis et il le récupéra en effleurant mon pouce de sa main. Ses yeux ne quittaient pas les miens et je me sentais vaciller, comme vidée de mes forces.
Michaël coupa notre contact, enfonça ses mains dans les poches de son manteau et s'en alla sans mots dire.
Je sentis mon téléphone vibrer et décrochais quoi qu'hésitante lorsque je vis s'afficher un numéro inconnu.
— Allô ?
— Tu as le mien, maintenant. Je reconnu sa voix et souris.

— ... À très vite, Mary.

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⏰ Dernière mise à jour : Sep 17, 2017 ⏰

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