Dès que le vent soufflera.

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(POV Matthieu)

Je lève les yeux et les plonge dans ceux de mon père, juste pour échapper à la vision de mes jambes tremblantes. Je n'ai jamais autant stressé avant de monter sur scène. Si les coachs se retournent, de nouvelles portes s'ouvriront pour moi; si j'échoue, je m'efforcerai de remonter lamentablement la pente et ce sera le billet de train direct pour la Gironde natale. Je n'ose même pas y penser.

"T'inquiète, mon fils, me réconforte mon père en se saisissant de ma guitare électrique. Tu en as toujours rêvé, et tu y arriveras."

Il me la tend et je l'empoigne fermement. A côté de moi, Nikos écrit tout se qui se dit sur un petit carnet noir. Maniaque. Il fait même le boulot des journalistes. 

Je détourne le regard et le reporte sur ma guitare.

"Il y a une question que j'ai oubliée, me dit finalement Nikos. Tu avais une idée, pour le coach? Lequel prendrais-tu si tu avais le choix?

- Je ne sais pas trop pour l'instant, mais j'avais une petite idée, réponds-je.

- Ah bon? s'étonne mon père. Tu ne m'en avais pas parlé."

Il est vrai que je l'avais longtemps gardée pour moi. Je m'éclaircis la gorge et prends la parole, craignant un mauvais jugement:

"J'aimerais beaucoup avoir Zazie pour coach. C'est une femme extrêmement franche et humble, elle est vraiment extraordinaire."

Le cameraman marmonne une plaisanterie avant de s'esclaffer. Je ne saisis pas tous les mots, mais je reconnais "jeune" et "adorer", ce qui me permet de reconstituer la phrase. "Un petit jeune canon et encore tout frais, elle va adorer." Il me semble qu'il a dit un truc de ce genre. Comment peut-on être méprisant à ce point? Je me souviens que sa réputation a pâli à la victoire de Lilian il y a un an et demi, mais là... c'est vraiment trop. Des réflexions pareilles ont le don de me mettre sur les nerfs.

Nikos lance un regard noir au cameraman, bientôt suivi du mien. Je lui fais bien sentir qu'il va regretter d'avoir parlé d'elle comme d'une salope.

"La plaisanterie ne se fait plus, Roger, dit-il. Combien de fois t'ai-je dit de tourner sept fois ta langue dans ta bouche avant de parler?

- Je suis... désolé... balbutie-t-il. 

- C'est auprès d'elle que tu devrais t'excuser, espèce de rat... marmonné-je."

Je fais craquer mes mains et me caresse les poings. Il recule aussitôt d'un pas.

"Bien, Matthieu, je crois qu'il est temps pour toi de nous quitter... 

- Combien de minutes me reste-t-il? 

- Neuf exactement."

Je me lève, pantelant, incapable d'émettre le moindre son. Ma main tremble sur le manche de ma guitare et je dois bien serrer le poing pour ne pas la laisser tomber.

"J'y vais, papa, dis-je.

- Je serai dans la loge des familles, murmure-t-il en posant une main sur mon épaule. Tu vas y arriver, je te le promets."

***

L'heure fatidique.

J'arpente le couloir en long et en large en me rongeant les ongles, ma guitare sur l'épaule.

Et si elle ne se retournait pas?  Si j'avais affaire à cet incapable de Matt Pokora, ou aux discours pourris de Florent Pagny? Elle seule est capable de m'accompagner jusqu'au bout. Et papa m'a dit qu'elle se retournera. Du moins, je l'espère...

Et les vents ont tourné.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant