Illusion.

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Hôtel parisien, tard dans la nuit.

Je lutte pour contenir mon émotion mais n'y parviens pas. Les larmes perlent toutes seules alors que j'envoie un dernier message à mon frère. Allongé sur mon lit, pantalon noir et t-shirt blanc, je traîne un peu sur les réseaux sociaux. Quelques amis qui étaient aux auditions m'ont envoyé leurs félicitations et je leur réponds avec plaisir.

Je fais aussi un peu le tour des publications de The Voice. Pour l'instant, il n'y a pas grand-chose, juste une photo des quatre coachs. Je pose directement les yeux sur Zazie, et c'est toujours cette impression de force et de sagesse qui émane de son visage. Je ne saurais pas dire ce qui m'attire à elle. Son caractère, peut-être. Et ses yeux intelligents qui vous choppent direct. Matthieu, arrête ! T'es encore plus accro maintenant qu'à l'adolescence, tu crains... me chuchote ma conscience. Pourtant, je veux juste l'avoir pour coach. Elle est là pour m'apprendre des choses, et je dois la protéger en retour. La protéger contre les autres, ceux qui osent l'insulter ouvertement sur les réseaux.

Quand je relis les commentaires de la saison précédente, une vague de colère et de désolation me submerge. Voilà ce que l'on trouve à son sujet : « De toute façon, elle ne les garde jamais pour leur talent, tout le monde le sait » ou encore « Si elle se cherche un mec, dites-lui qu'elle est pas sur le bon terrain de jeu ». Si je pouvais fermer le clapet de ces imbéciles, je le ferais sans hésiter, mais j'ai peur de perdre le combat. Egoïste, égoïste ! Tu ne veux pas ternir ta réputation, c'est tout ! Vas-y, dis-le ! Pour quoi ils te prendraient, toi aussi, si tu le faisais ? Un gamin qu'elle se serait payé, rien que pour elle ? « Alors, Matthieu, on joue les sauveurs ? J'espère qu'elle s'occupe bien de toi quand tu viens lui faire le nécessaire, comme une maman... »

« Ta gueule, la conscience, murmuré-je. »

Je remarque alors qu'il est quatre heures du matin et que je n'ai toujours pas fermé l'œil. Mon père, qui est dans la pièce d'à côté, ronfle déjà. Alors je me glisse sous les draps et essaie de penser à autre chose.

Mais une question me vient encore.

Est-ce que tout ça lui fait mal ?

Mais bien sûr, ça lui fait mal, pauvre con.

Oh non. Ça ne va pas recommencer...

Atrocement mal. Tous ces enfoirés lui retournent les tripes. A chaque mot, chaque phrase, ça doit être un sanglot de souffrance. Son petit cœur qui s'émiette et ses yeux félins qui versent des torrents de larmes. Evidemment, ça la fait souffrir. Et toi, tu ne fais rien ?

Toutes ces pensées me matraquent le crâne.

Fais quelque chose ! Ne reste pas planté là ! T'es vraiment qu'un égoïste, Matthieu !

Je ne tiens plus. J'essaie de résister, mais la blague atroce du cameraman me revient en mémoire : « un petit jeune canon et encore tout frais, elle va adorer ! ».

Alors ils la prennent pour un vautour. Un oiseau de proie qui boufferait tout sur son passage.

Je n'en peux plus, je vais tourner dingue !

« Quelque chose ne va pas ? »

Je reconnais cette voix.

C'est la sienne.

Zazie avance vers moi, livide, les bras couverts de cicatrices. Elle ne porte pour tout vêtement qu'un grand châle blanc, qui découvre ses jambes nues. Elle ressemble à une déesse romaine. Une déesse romaine terrifiante. Ça ne peut pas être elle. Pas ici, pas maintenant et dans cet état-là. Je crois que je deviens fou.

Et les vents ont tourné.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant