Un ami perdu, un amour retrouvé

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Un mois est passé depuis cette nuit d'amour volage, et nous sommes sur le point d'enregistrer les battles. Je crains toujours le regard de Matthieu. J'ai peur qu'il regrette d'être allé aussi loin en huit heures. Si j'avais su qu'il m'aimait, je n'aurais pas tout précipité, mais mon désir pour lui a grandi trop rapidement. Ses beaux yeux bleus et ses caresses m'ont poussée à bout.

Dans ma loge, je me prépare rapidement: je renonce au maquillage superflu avec lequel je me tartine habituellement. Je n'ai pas vraiment envie de me montrer après ce qui s'est passé.

Lorsque je sors, je croise Mika. Impossible de l'éviter; il me prend par le bras et plonge ses yeux dans les miens.

"Je suis au courant, dit-il alors. 

-Au courant de quoi? demandé-je.

-Matthieu t'aime, ça crève les yeux. Et n'essaie pas de jouer les innocentes, je sais ce que tu penses de lui."

Ses paroles sont presque venimeuses.

"Qu'est-ce que ça peut te faire? lâché-je en me libérant de son emprise.

-Fais juste attention."

Faire attention. Cette pensée manque de m'arracher un rire.

"Faire attention à quoi? Tu crois que je vais me laisser faire? raillé-je."

Oh oui, je le crois bien, me murmure ma conscience. Après tout, c'est toi qui as succombé la dernière fois. Vrai ou faux?

"C'est ce que j'ai fait l'année dernière, me répond Mika. J'ai fait attention."

Que me raconte-t-il, à présent? A-t-il perdu la raison?

"Tout le monde savait que tu étais amoureuse de moi, lâche-t-il dans un rictus moqueur."

Sa tête de petit démon ne m'inspire que du dégoût.

"Je ne l'ai jamais été, réponds-je en lui lançant un regard tueur.

-Vraiment? Cette lettre que tu m'as écrite, elle comptait pour quoi?"

Moi? Une lettre? Il commence sérieusement à délirer.

"Je... commencé-je.

-Ne va pas me dire que ce n'est pas toi, me coupe-t-il. C'est mon petit copain qui l'a lue en premier. A cause de tes fantasmes à la con, il m'a fait la gueule pendant trois mois!

-P... pourquoi ne m'as-tu rien dit?"

Ses accusations commencent à me faire pleurer.

"Je te jure que je n'y suis pour rien! Je n'ai jamais écrit de lettre, Mika!"

Il s'éloigne lentement puis, une fois rendu à l'autre bout du couloir, me crache:

"Tu n'as jamais pensé à faire de la comédie dramatique? Tu jouerais vraiment bien, pourtant! Et tu n'as même pas besoin qu'on te fasse pleurer! Je te laisse avec ta honte... moi qui croyais avoir affaire à une amie honnête et humaine!"

Je peux lire son regard à plus de dix mètres. Il est empli de haine.

"Tu n'es qu'une menteuse! assène-t-il. Une menteuse avec un coeur de gamine!"

Ses mots me font tellement mal que je colle mon front au mur pour me couper de l'extérieur.

"Quelque chose ne va pas?"

Je reconnais la voix d'un véritable ami. Un ami que je connais depuis plus de vingt-cinq ans. Un ami qui a été présent jusqu'ici et qui le sera sans doute jusqu'à la fin de mes pauvres jours.

"Ah, salut, Florent, murmuré-je en me retournant pour lui faire face.

-J'ai entendu une dispute, alors je suis venu, répond-il. Tu étais dedans?

-Ouais, à regret. Mika n'arrête pas de m'engueuler pour une lettre que je lui ai apparemment écrite.

-Je ne t'ai jamais vue lui écrire.

-C'est ce qu'il ne comprend pas. 

-Je vois le problème. Quelqu'un a usurpé ton identité et écrit une lettre à ton nom."

Si Florent a la réputation d'être concis dans ses explications, il peut être très intelligent. L'idée n'a même pas effleuré mon esprit une seconde.

"Et je connais le coupable, continue-t-il.

-C... comment?

-Je crois que tu as été victime d'une mauvaise blague de notre ex-collègue québécois.

-Garou aurait écrit une lettre à mon nom? Pour quelle raison?

-Tu n'es pas la première... c'est un farceur, voilà tout.

-C'est surtout un con, oui! Je viens de perdre un ami!"

Tu l'as perdu bien avant... il a juste joué les faux-jetons jusque là!

"Ca va s'arranger... me réconforte Florent. Mika n'est pas très rancunier.

-Son copain lui a fait la gueule pendant trois mois! C'est mort, Florent!

-Mais non... bon, je dois y aller, je dois m'occuper de mes petits poussins!

-Tu as déjà réfléchi aux duos? lui demandé-je.

-Absolument pas. Je verrai bien ce que ça donne à l'arrivée.

-A plus tard, Flo."

oOo

Je ne veux pas faire de favoritisme. Je ne veux pas. 

Matthieu et Fabian se tiennent tous les deux devant moi. Les yeux du premier ne me lâchent pas une seconde, et je trouve ça très embarrassant.

Il est de plus en plus sombre et a troqué sa veste en jean délavée contre un blouson noir. Je me souviens de l'innocence et la douceur de ce bleu pâle, identique à celui de ses yeux, qui faisait ressortir ses cheveux couleur miel. Mon regard se pose sur son visage me rappelant le Bowie des années quatre-vingt ; Matthieu est cependant moins angulaire et a des lèvres plus fines. Malgré tout, je retrouve le reflet passionné ayant animé ses yeux clairs un mois plus tôt et comprends qu'il n'est vraiment pas décidé à me lâcher. C'est ici que la situation prend un tournant plus critique: il est amoureux. 

Je n'y crois pas. 

Pire, je me refuse à y croire.

J'ai entraîné ces deux garçons. Je leur ai appris ce qu'était un duel.

Ils ont fourni une performance mémorable.

Mais je ne peux en garder qu'un.

Le regard de Mika me fixe, lourd de reproches. Il m'enfonce complètement, me noyant dans une abîme de tristesse.

Devant moi, celui de Matthieu reste impassible. Mon visage est sa seule contemplation. Ma bouche est l'unique raison pour laquelle il vit.

Mes paupières se ferment un instant et je me sens presque partir.

J'ai envie de mourir. J'ai envie que les bras hypnotiques du néant m'emportent loin, très loin.

Mais ils ne viennent pas.




Et les vents ont tourné.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant