II

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        _Il faisait déjà sombre ce soir-là, lorsqu'elle avait été prise d'une insomnie. Elle était assise sur la rembarre du balcon, les jambes pendantes dans le vide. Elle fixait l'obscurité de l'horizon étouffé par les nuages noirs, dont la surface était éclairée par une lumière blanche et morne, celle de la ville, de ses réverbères à "faible consommation" disait-on. Car avec ce plafond de ténèbres, il était impossible de s'y retrouver. Aussi les numéros des quartiers, de grands hologrammes accrochés sur le mur des "maisons" (ce n'était que de gros blocs de béton insalubres) qui faisaient les coins de rues, clignotaient de manière faible, comme s'ils allaient s'éteindre à tout moment, succomber sous le poids écrasant des ténèbres.

Lio avait étudié ces mystérieux hologrammes usés en histoire, ils venaient de son côté de la barrière, ils appartenaient à leurs immeubles avant que des scientifiques ne mettent au point de nouveaux chiffres, qui s'illuminaient grâce aux rayons de la lune. La lune parvenait à les atteindre malgré cette épaisse couche de pollution qui devenait chaque année de plus en plus étouffante, à tel point que l'on ne pouvait plus sortir sans son masque, invention pour purifier l'air respiré lorsque l'on sortait. Il était presque entièrement transparent, du moins il l'était afin qu'on puisse reconnaître la personne qui le portait, seules les sangles étaient noires et se serraient derrière la tête. Certes, on voyait de moins en moins ces chiffres ressortir sur les grands bâtiments blancs de la Nitescence. Cette Nitescence était le nom du côté de la barrière où se trouvaient Lio et sa famille, ainsi que toutes les familles qui disposaient des mêmes avantages.

Avant la Dernière Guerre qui avait eu lieu plusieurs siècles auparavant, le monde était un monde de diversité, de différences, qui prônait une égalité absolue. Mais derrière cette utopie, se cachaient des failles, et bientôt les gens de pouvoirs ne purent les dissimuler, ils en demandaient plus à chaque fois, soutirant tout ce qu'ils pouvaient de leurs peuples. Les populations communes se révoltèrent, cherchèrent le moyen d'ouvrir les yeux aux autres, mais n'ayant pas les moyens de lutter la plupart furent tuées, et en voyant le massacre, elles se rendirent et signèrent un accord. La muraille fut construite dans chaque pays, dans chaque ville, les divisant en deux. Certes, quelques villages oubliés n'eurent pas ce cadeau et il y eut d'autres guerres de territoires. Une fois la guerre terminée, les hommes de pouvoirs, les riches, ceux de la Nitescence, reconstruisirent une Société, cette fois plus écologique et adaptée à l'état de l'environnement qui s'était dégradé davantage à cause des guerres et de certaines armes en particulier. Leurs lois s'appliquaient au seul côté de la barrière qui concernait les familles aisées et fortunées, les Altesses. On fit construire de grandes tours, des immeubles, afin que ces constructions surplombent le paysage et puissent ainsi se réjouir de leurs privilèges, en ayant une vue sur l'autre côté de la barrière. Ceux qui y étaient restés étaient nommés les Parasites, ils étaient tous ceux qui n'étaient pas assez bien pour la Société, pour la Nitescence, les pauvres, les marginaux, les "hors-la-loi", les hommes conscients en somme, ceux qui pensaient par eux-mêmes et ne dépendaient pas des privilèges matérialistes, qui étaient contre cette société. Ils tentèrent, avec le peu de moyen qu'ils avaient, de fonder la leur. Mais ils durent rapidement faire face à la famine et au manque de ressources. Alors la Nitescence leur accorda quelques attentions, elle accepta de reconstruire leur partie du territoire et de leur fournir de quoi développer leurs ressources, mais leur prirent leurs armes, et tout ce qui aurait pu leur nuire, ainsi que le peu d'argent qu'ils avaient, les ruinant davantage, et creusant une inégalité de plus en plus conséquente, et instaura l'implantation des puces obligatoire à tous. Chaque côté de la muraille commença à détester l'autre encore plus qu'avant, d'un côté ils avaient la peur des maux que les uns représentaient et le mépris qu'ils leur inspiraient, et de l'autre ils avaient la haine et la rage de ceux qui les opprimaient et les humiliaient. Puis de chaque côté on s'ignora, dans une haine muette, une tension invisible qui était bien là mais dont on ne parlait pas.

EXORDEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant