O. 16

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J'avais enfin trouvé la force de plonger mes yeux dans les siens. Et de la force il m'en fallu pour parvenir à le fusiller du regard sans m'attarder sur mon rythme cardiaque qui, à moins d'être malentendant, devait être entendu par tous. Taehyung le premier. Ça me faisait mal de le tuer du regard. J'avais l'impression de revenir au point de départ mais je n'avais pas d'autre choix. Taehyung était nocif, je devais le garder loin de moi. Nous n'étions pas fait pour nous entendre et malgré nos efforts, ceux-là furent vains puisqu'il était évident que ni mon corps ni mon esprit ne supportaient sa compagnie.

Il provoquait des effets indésirables sur eux et bien qu'ils n'étaient pas désagréables, les ressentir me dérangeait bien trop pour que je puisse en faire abstraction.

Il restait muet. Cela faisait quelques minutes qu'il gardait la tête baissée sur le sol. Il paraissait triste. Son image me faisait mal. C'était si douloureux que je ne pus me tenir ici une seconde de plus et je partis rejoindre TzuYu à qui je feins une mine enjouée. Ce n'était qu'une façade. Elle était ravie de mon retour et repartit dans un monologue. Je m'efforçais de l'écouter bien que je n'en avais que faire. Je laissais quelques sons s'échapper de mes cordes vocales pour lui témoigner de ma réceptivité. Au retour de Taehyung, plus aucune partie de mon cerveau n'était concentrée sur la voix de la jeune fille assise à ma table. Il m'avait jeté un regard impassible mais désolant.

Il venait de récupérer ses affaires et, bien que je n'entendais pas leur conversation, je devinais que les gars tentaient de comprendre la raison de son départ inattendu. Il s'éloignait, me jetant un ultime coup d'œil au travers duquel il exprimait toute sa déception. Je voulu le rattraper, lui dire que je n'étais qu'un con et qu'il ne méritait pas que je le traite de cette manière mais je ne fis rien. Je me contentais de le regarder disparaître de mon champ. Je me sentais triste et je ne pouvais expliquer la cause d'un tel état.

Mon rendez-vous touchait à sa fin. Nos pères patientaient quelques mètres plus loin le temps que l'on se saluent. Je sentais les yeux de mon paternel braqués sur ma personne. Il n'attendait qu'une chose, que je l'embrasse pour s'assurer que je fasse taire la rumeur. Je n'en ressentais pas l'envie, même après avoir passé plusieurs heures à l'écouter déballer sa vie qui ne présentait aucun intérêt à mes yeux.

Le moment de dire au-revoir était ce que je détestais le plus. Je ne savais jamais à quel moment il était temps de partir... Et là, c'était pire car en plus de lui dire au revoir, je devais officialiser notre relation. Il fallait que je le lui demande et je le fis de la façon la plus maladroite qu'il soit. "Tu veux bien qu'on sorte ensemble ?" lui avais-je balancé sans réfléchir aux mots que j'utiliserais. Ses joues avaient gagné plusieurs teintes rosées et elle me sauta dessus en enroulant ses bras autour de mon cou, m'obligeant ainsi à supporter la proximité de nos deux corps. Elle avait tenté d'effleurer mes lèvres mais à la place, elle embrassa leurs commissures. Ce baiser raté suffisait pour me mettre mal à l'aise alors je n'osais pas imaginer ce qu'un French Kiss provoquerait.

Elle s'éloigna tout sourire pour tout raconter à son père. J'ignorais ce qu'elle avait tant aimé dans cette soirée. Ma passivité peut-être ? Mon aptitude à écouter ? Du moins, à faire semblant. Mon père était remonté dans sa voiture après que son collègue ait quitté les lieux. Je ne pouvais pas rejoindre les mecs pour décompresser, et pour cause, ils n'étaient pas supposés être là.

Dans la voiture, mon père affichait une expression satisfaite. Cela me frustrait.

- Je savais bien que tu n'étais pas gay, lâcha-t-il, cassant le silence pesant qui s'était imposé dans l'espace étroit.

- Je ne l'aime pas...

- Tu vas l'aimer. Crois-moi. TzuYu est une jeune fille très gentille et attentionnée, elle saura te combler. Tu vas voir.

- Je ne veux pas de son amour...

Ma voix était monotone, lasse. J'étais ressorti blasé de ce rendez-vous et les remarques de mon père n'arrangeaient rien.

- Tu veux vraiment finir seul Jungkook ? TzuYu est ta seule chance de te créer un avenir et une vie de famille...

- Qu'est-ce que tu en sais ? T'es voyant ? Non. Tu ne sais rien de moi.

- Tu vas d'abord commencer par me parler autrement et tu auras intérêt à revoir ta petite-amie.

Ce dernier mot me donna des maux de cœur. Je ne réalisais pas jusqu'à maintenant que j'étais en couple, pour la première fois de ma vie, je vivais une relation avec une fille. Cela faisait des années que je rêvais de ce moment et pourtant je n'étais pas comblé.

- De toute façon je la quitterai dès que cette histoire sera passée.

- Je n'en serais pas si sûr à ta place. Tu vas rester avec cette fille, sauf si c'est elle qui te quitte.

Je le regardais, abasourdi par ce qu'il venait de proférer. Il avait pensé à tout. Tout devenait clair. TzuYu n'était pas le choix de mon frère et s'il s'en voulait tant c'était parce qu'il avait compris les intentions de notre père. Rompre avec TzuYu reviendrait à lui manquer de respect et, par ricochet, au père de cette dernière. Mon paternel craignait que cet homme venge l'honneur de sa fille. C'était une réaction enfantine mais je suppose que c'était comme cela que fonctionnait le monde des affaires. Un océan de requins sanguinaires tous prêts à s'entre-tuer pour obtenir ce qu'ils veulent.

J'étais pris au piège dans une relation qui ne me satisfaisait pas.

- Ne vois pas cela comme un mal. D'ici quelques années, elle héritera des parts de son père. Ce sera le moment parfait pour faire ta demande et comme ça, nous aurons des droits dessus.

Tout. Dans les moindres détails. Sa soif de pouvoir était si puissante qu'il était prêt à se servir de moi et à me gâcher mon avenir. Je ne disais rien. Le laissant croire que j'allais obéir comme un brave soldat.

Quand le jour viendra, je sortirai des rangs.

Stigmate { Taekook }Où les histoires vivent. Découvrez maintenant