"Ravie de vous rencontrer"

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Yann observait Martin et Laurent s'avancer sur le plateau depuis la régie. Le producteur avait placé son bras autour de l'épaule du présentateur d'un soir pour l'encourager et il lui prodiguait sûrement ses derniers conseils. De sa place en coulisse, Yann avait accès à toutes les caméras, aucun angle ne lui manquerait. Il aurait adoré cette possibilité, la chance de pouvoir regarder son reporter sans risquer d'être observé, si elle n'était pas venue...

Toute la journée, il avait espéré qu'elle ne viendrait pas, qu'elle resterait aux Etats-Unis. Martin n'avait pas la moindre allusion à sa venue alors Yann s'était surpris à espérer. Mais alors que les préparatifs s'accéléraient, que le public se mettait en place, il la vit arriver. Elle était exactement telle qu'il l'avait vu sur ses photos, celles qu'il avait cherché, avide et terrifié, quand il avait eu besoin de mettre un nom sur un fantôme. Il était si facile de douter de son existence tant le reporter n'en parlait jamais. Mais elle était là, elle l'avait toujours été. Il avait été sot de l'oublier. 

Elle se tenait fière et arrogante et il épia le moindre de ses gestes alors qu'elle s'installa avec son amie sur les plus hauts de gradin. Elle avait la vivacité aiguë de la jeunesse, l'insouciance de ceux qui n'en ont pas vu assez. Elle serait en face de Martin, elle pourrait le regarder tout à son loisir.. Et lui.. resterait dans l'ombre. Ses doigts s'agrippèrent au t-shirt bordeaux qu'il tenait entre ses doigts, clin d'oeil qui lui semblait presque un peu idiot, enfantin ; tentative presque désespérée de se raccrocher à ce qui avait été. Il le jeta sur le siège à côté de lui en un geste amer qui fit lever quelques sourcils interrogateurs. Il crut déceler un éclair de pitié dans les yeux de Martha mais elle détourna la tête et dans son casque Martin et Laurent commencèrent à parler.

Ils blaguèrent un peu, mimant le début d'émission et Martin passa en revue ses fiches d'un air concentré alors que Laurent le mettait en confiance pour la dernière. 

"Il ne vient pas Yann?" demanda le jeune homme d'un air presque détaché mais sans quitter le visage de Laurent des yeux. Le présentateur eut une bouffée de culpabilité mais il ne pouvait pas.. il ne pouvait se montrer sur le plateau, parler au jeune homme en sachant qu'une partie de son attention serait captée par celle qui les observerait. Laurent donna une vague excuse au présentateur d'un soir et Martin dissimula un petit soupir déçu. Le quarantenaire l'observa encore un peu et sentit son cœur se serrer brutalement alors qu'il le vit chercher quelqu'un des yeux dans le public et un sourire étirer ses lèvres lorsqu'il la repéra. Il entoura ses bras autour de sa taille en un geste de protection, comme pour alléger la douleur qui ne voulait pas quitter son ventre. Elle ne sembla s'apaiser que dans la contemplation de Matin dans son nouveau rôle. Il semblait si à l'aise, si sûr de lui. La nostalgie était violente, le ramenant des années en arrière alors que Martin n'était qu'un jeune journaliste comme les autres débarquant avec ses idées neuves et son bagou. L'électricité entre eux dès ce premier jour dans cette salle de réunion où on les avait présenté ne s'était jamais démentie. Une partie de lui était fière, l'autre était terrifiée. De le voir si  à l'aise, si sûr de lui.. combien de temps pourrait-il le garder à ses côtés avant des désirs d'émancipation ne l'arrache à lui? Pouvait-il lui en vouloir d'être ambitieux..

Le reportage sur Miami et le Spring break à présent défilait sous ses yeux à présent. Il avait déjà vu les reportages, Martin insistant toujours pour lui montrer dès qu'ils étaient terminés. C'était leur moment privilégié dans le bureau de Yann ou une des salles de montage, les bras qui se frôlaient, assis l'un à côté de l'autre, les prunelles dorées qui brillaient d'excitation alors qu'il racontait une anecdote de tournage, les fous rires qui les suivaient à coup sûr parce que personne ne racontait les histoires comme Martin.

 Alors il gardait son regard sur le retour caméra et ce qu'il vit le laissa pétrifié. Le regard du jeune homme qui s'égarait dans la direction de sa petite amie, lui faisait un léger signe de tête puis un rire complice alors que le jeune américain sur l'écran géant déclarait se sentir prêt à "se taper un mannequin". La connivence entre les deux amants lui fit détourner les yeux et quitter la salle à grandes enjambées. Comment pouvaient-ils en rire comme ça devant tout le monde, comme si personne ne pouvait les voir, comme si lui ne pouvait les voir? Comment pouvaient-ils rire de ça tout court? Il s'attendait aux ébauches d'une relation qui commence et il se retrouvait face à la complicité de ceux qui sont suffisamment sûrs de ce qu'ils ressentent pour parler de leur lien à la légère. 

Par personnes interposéesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant