Par personnes interposées

Le déclin des nuits d'été

Deux mois plus tard

"Tu ne devrais pas répondre." fit Vincent d'un air réprobateur alors que le téléphone de Yann vibrait sur la table entre eux. Le poivre et sel jeta un rapide de coup d'oeil avant de rougir et de rejeter l'appel. Il évita le regard de son ami qui ne le quittait pas des yeux.

"Il a essayé tout l'été, j'imagine."
"Oui... Mais je savais qu'il était avec elle alors.. Je n'ai pas trop envie de lui parler." Son regard fut vite capté par le corps athlétique de l'amant qu'il avait ramené dans sa valise. Grand, les cheveux blonds caressant de leurs pointes ses épaules, les yeux bleus profonds. Il ne ressemblait en rien à Martin et c'est pour ça que Yann l'avait choisi. Il l'avait rencontré dans le hall de son hôtel au Japon, leurs échanges avaient été teinté d'attirance et de gêne, saupoudré d'un désir de revanche assez sournois de la part du présentateur. L'homme était allemand, habitant Berlin, et il avait contacté Yann pour le revoir à son retour en France. Il était marié à une femme, avait deux enfants, mais il s'était jeté aux pieds du quarantenaire comme si sa vie en dépendait. Dans cette soumission enfiévrée, Yann avait trouvé le baume parfait pour oublier celui dont l'odeur imprégnait encore sa peau.

'Je ne comprends pas comment il peut me manquer autant. On n'a même pas été réellement ensemble en fait.."
"Tu connais la réponse à cette question. Et lui aussi. Tu sais qu'il est courant pour ton compagnon des vacances?" Il fit un signe de tête en direction de l'homme qui ressortait de la piscine, ruisselant. Yann ressentit un coup au cœur en réalisant qu'il ne cessait de superposer un autre corps à celui qui s'avançait vers eux. Plus petit, plus mate, les yeux pétillants. Il détourna les yeux douloureusement. Vincent le regardait, la pitié dansant au fond des yeux. 

"Il a appelé Hugo plein de fois quand il était ici. Il voulait savoir qui c'était, comment tu étais avec lui.."

Le présentateur se perdit dans ses pensées. Il l'imaginait parfaitement, l'agitation de son pied tapotant le sol avec agacement, inspirant avec force. 

"Hugo était ici?"

Vincent rougit fortement et son regard se fit fuyant. "C'est notre secret d'accord.. Personne ne sait qu'il était ici avec moi. Et surtout pas.. "

"Ton compagnon. Je me doute.. Comment allait Hugo?"

"Pas très bien, c'est plutôt tendu entre Martin et lui. Ils devaient passer toutes les vacances ensemble mais il ne supporte ni Louise, ni ses amies donc il a pris sa copine sous le bras et ils les ont laissé. Martin lui en a voulu, même s'il n'aime pas plus les copines qu'Hugo. J'imagine que tu sais où Martin a été après ça et où il est en ce moment?"

"Evidemment" réplique le poivre et sel, sombrement. 

"Tu sais qu'il va falloir que tu apprennes à cacher tes émotions?" Vincent posa un index sur le front martyrisé par les différentes émotions qui l'agitaient. "Je sais que Martin est pas forcément le plus éclairé par rapport aux sentiments, mais il remarquera forcément ça.."

"Il ne fera rien." 

"Tu plaisantes, j'espère? Il va se frotter contre toi jusqu'à temps que tu craques, comme Michoko quand il veut des câlins." pouffa Vincent amèrement. Il semblait avoir de plus en plus de mal à supporter le comportement du reporter avec son ami. 

"Mais pourquoi? Il a littéralement passé ses vacances collées à elle, à l'emmener partout, à la présenter.. Pourquoi continue-t-il à m'appeler?!" Yann sentit sa voix monter dans les aigus alors la colère qu'il peinait à contenir s'échappait dans l'air étouffant de la fin de l'été. Il jeta son téléphone à l'autre bout de sa chaise longue d'un geste rageur. Son nouvel amant posa sa main sur son genou pour le calmer et il repoussa sa main froidement pour se lever et retourner à l'intérieur de la maison pour retrouver ses esprits. Ses bras noués autour de son corps, il profita de la pénombre pour souffler un peu. Il sursauta quand les ombres se mirent à bouger. Laurent venait d'entrer dans la pièce et le dévisageait de l'air serein de ceux qui savent déjà tout. Yann se demanda si un peu de cette sérénité se glisserait sous sa peau si lui se glissait à nouveau dans le lit de son plus vieil ami. Il n'en était pas sûr. Ni d'en avoir envie et surtout il savait que Laurent n'en avait plus envie. Ce qu'ils avaient partagé avait été intense, beau et fort, avait scellé le royaume qu'ils avaient construit autour d'eux. De leur attraction était née une amitié indeffectible et une compréhension totale bien que muette. Laurent connaissait son coeur dans les moindres recoins et l'apaisaient comme personne ne pouvait le faire. Enfin presque. La douleur creusa encore un peu sa poitrine, se lovant contre ses côtes, semblant les faire ployer sous son poids. Comment quelqu'un qui vous apaisait autant pouvant instiller un tel poison dans vos veines.