L'élément déclancheur

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II- L'ELEMENT DECLENCHEUR

JEUDI 12 SEPTEMBRE 1991

Je chahutais avec mon frère autour de la table de la cuisine. L'odeur des tartines grillées que ma mère venait de déposer sur la table chatouillait mes narines. Nos éclats de rire raisonnaient jusqu'au hall d'entrée quand soudainement ma mère brisa cette scène avec un autoritaire "Chut !". Elle était debout , immobile, les yeux rivés sur le petit téléviseur du salon. Dessus défilait en boucle un message : " Si vous avez été transfusé entre 1981 et 1984, merci d'effectuer un dépistage VIH ". Ma mère restait là, inerte devant le téléviseur. Je pouvais distinguer la pâleur de son visage. Ses mains moites allaient bientôt laisser échapper la tasse de café qu'elle tenait entre ses doigts .. Je lui dis alors :

-"Qu'est- ce qui se passe maman ?"

- "Rien ; demain matin, nous irons tous au laboratoire pour effectuer un contrôle. "

-"Un contrôle de quoi, maman ?"

-"Une prise de sang, mais ne t'en fais pas, ce n'est rien d'important."

Le lendemain matin , avant d'aller à l'école, nous nous sommes arrêtés au laboratoire du village.

(Le laboratoire se situe juste en face de la boulangerie, un vieux bâtiment aux pierres apparentes avec une grande vitrine.) Dans la salle d'attente, une odeur vint se heurter à mon odorat : celle du désinfectant. Je n'avais pourtant aucun souvenir de mes hospitalisations, mais mon inconscient me rappelait que cette odeur m'était plus que familière. En y réfléchissant, c'est fou comme la mémoire olfactive peut être si précise.

La dame de l'accueil se montra très sympathique .Il faut dire que je venais assez régulièrement pour des bilans sanguins à cause de mes crises d'anorexie. Notre tour venu, elle demanda à ma mère l'objet de notre visite. Ma mère s'approcha alors et lui tendit le certificat médical qu'elle s'était empressée d'aller chercher la veille auprès de notre médecin de famille. Ma mère passa la première, une autre dame vint chercher mon frère.

Le temps me parut bien long ; je fis mine de m'intéresser à un magasine déposé soigneusement sur la table basse car je me sentais mal à l'aise. Une femme dans la salle d'attente me regardait avec insistance, elle scrutait mes cicatrices une par une. Puis ma mère réapparut. C'était mon tour. Je me sentais un peu frustrée car la dame qui avait pris en charge François était plus douce que celle qui allait effectuer mon prélèvement.

Finalement je ne sentis quasiment rien de la prise de sang et je repartis à l'école avec un super pansement "Barbie". Entre nous, j'étais plus un petit garçon manqué, mais visiblement, cela n'avait pas sauté aux yeux de la dame qui pensait me faire plaisir en me collant ce patch rose bonbon sur l'avant bras.

Toute la journée à l'école, le rose vif du pansement me fit repenser à ce fameux contrôle. C'était quand même très étrange que nous fassions tous cette prise de sang. Habituellement, c'était moi l'abonnée au laboratoire...

Ma mère nous récupèra directement à la sortie de l'école. Une fois à la maison, elle demanda à François d'éplucher les pommes de terres posées dans le saladier sur la table de la cuisine et me suggéra de l'aider.

La sonnerie du téléphone retentit. Malgré le son diffusé par le téléviseur, je parviens à entendre la conversation de ma mère :

"Ah bon? Quel genre de soucis ?....D'accord. Eh bien, nous reviendrons demain matin... Parfait, je vous dis alors à demain. Bonne soirée."

J'entendis le téléphone se reposer sur son socle puis les claquements des escarpins de ma mère sur le parquet de la cuisine.

Elle me dit alors :

Mémoire usurpéeWhere stories live. Discover now