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Mon ventre était la seule partie de mon corps que je sentais encore. La faim creusait des sillons dans mon estomac. Je ne pouvais même plus essayer d'en détourner mon attention. Je ne pensais qu'à ça. Manger.

C'était tout ce que je désirais, tout ce qu'il me fallait, et tout ce que je devais faire pour ça c'était de me résigner à manger un cadavre.

Non, non pas encore.

Je tentais désespérément de penser à autre chose, ma maison, mes chansons, j'aurais du avoir de quoi occuper mon esprit. Je n'avais jamais eu autant de matière pour écrire. La douleur de l'isolement. La peur panique qui se dévoilait devant l'ignorance d'un futur incertain. La frustration de ne pas comprendre se qui se tramait. Tant de sujets, tant de textes à écrire mais rien ne parvenait à percer la barrière brumeuse de mes pensées. Les mots refusaient de s'aligner, de s'assembler et de former leur traditionnelle danse qui pourtant jusqu'ici, jamais, ne m'avaient fait défaut. La faim. Ma seule compagne, ma seule préoccupation et ma seule source de mots.

Les plats défilaient dans mon esprit avide. La carte des plus grands restaurants n'aurait pu glorifier plus que moi une simple purée saucisses.

Mmmh je pouvais presque les voir... « Saveur oubliée d'une enfance dorée et accompagnée de ses traditionnelles grillades au goût méditerranéen, le tout parsemé de ses épices qui vous feront sentir l'odeur iodée du bord de mer. »

Manger. Manger. Manger. L'eau ne suffisait plus à combler le vide de mon estomac. Celui-ci était d'ailleurs gonflé au possible. Mes muscles eux commençaient à fondre à vu d'œil. Je n'avais jamais été une formidable athlète, mais j'avais toujours veillé à entretenir mon corps. Corps qui au terme de neuf jours de disette ne devait plus ressembler à grand-chose.

J'étais faible, je sentais presque mes dents crisser tellement ma mâchoire était crispée... la douleur résonnait dans mes tempes. Une migraine carabinée était venu s'ajouter à mon bonheur.

MANGER. Mon nouveau mantra. Ma musique de fond. Mon début de folie. J'étais arrivée à un tel stade que j'aurais pu tuer pour un bon steak cuit à point ! Si on rajoutait une mousse au chocolat dans l'équation j'aurais bien été capable de vendre un rein.

Mon esprit s'amusait encore à me jouer des tours, m'envoyant des images de festins, de pâtisseries toutes plus alléchantes les unes que les autres.

Dans mon état semi-comateux je croyais même percevoir le craquant du caramel, puis le fondant de la crème, pour finir avec le coulant du coulis de framboise... un arrière goût légèrement différent de mes autres souvenirs me parvient pourtant. Cela me faisait penser à autre chose, cette texture épaisse, elle roulait sur ma langue, maculant mes dents après son passage, ce goût de rouille ! Du sang ?! Mais qu'est ce que ?...

Ma vision idyllique se transforma alors en cauchemar des plus grotesques. Les framboises bien mûres que j'avais auparavant cueillis, devenaient d'énormes verrues gorgées de sang mais pas que. Le craquant faisait place à d'horribles croûtes verdâtres, craquelées. Le fondant ? Ne m'en parlez surtout pas ! Ces images de viande crue bleuie par le temps et la décomposition, me donnais envie de recracher ce que je venais d'ingurgiter.

Manger. À ça oui j'avais mangé. À quatre pattes, les mains plongées jusqu'au coude dans le tas de viande, le visage barbouillé de sang.

J'avais l'impression que ma bouche enflait, que ma langue me brûlait, je voulais cracher ce que je venais pourtant d'avaler. L'horreur s'emparait de moi.

En plus j'avais en plus été apparemment incapable de manger proprement vu l'épais filet de sang mêlé de bave qui dégoulinait le long de mon tee-shirt.

Les yeux complètement explosés et ahuris je devais leur donner un show des plus appréciable ! Je ne comprenais pas. Mon dieu mais qu'elle horreur ! Qu'est ce que ... ?! Qu'avais je fais ? L'avais je vraiment fait ? Tout semblait porter à croire que j'avais été frappée d'une crise de somnambulisme. Ou de frénésie. Que sais je ?

Un morceau de bidoche encore en main je relevais la tête. Mes yeux se posèrent directement sur le psychopathe en chef. Un rictus victorieux aux lèvres, il scrutait le moindre de mes gestes.

Je l'avais fait. J'avais mangé cette viande avariée. J'avais mangé un morceau de chair. J'avais mangé de la viande humaine. J'avais fait l'impensable. J'avais fait ce que je me refusait encore à refaire.


Je tremblais sans pouvoir m'arrêter. Un frisson glacé me parcourus, la peur, la honte, la colère, l'horreur je n'étais plus que le réceptacle d'un tourbillon d'émotions trop grand pour moi...

Mais la faim était toujours là.

Elle hurlait plus encore qu'avant.

Les bêtes autours de ma cage c'étaient tues elles.

Seul restaient les cris de mon estomac qui n'avais pas eu sa dose. La faim, cet être affamé qui grandissait en mon sein. Ce monstre qui hurlait sa frustration. Encore plus présent que quelques minutes auparavant. Cette folle et répugnante bouchée l'avait réveillé.

Alors, sous leur regard attentif, je portait les restes à ma bouche. Plongeant mon regard dans celui du roi des dingues, je léchais le sang autour de mes lèvres. J'étais perdue. Affamée. Et probablement en train de vivre la pire de mes peurs, pourtant jusqu'à lors insoupçonnée, mais j'étais déterminé. Je l'avais déjà fait. Le monstre en moi ne s'arrêterait pas de me dévorer les entrailles et la conscience. Je l'avais fait. Je pouvais le refaire. Et oui, je le référait autant de fois que nécessaire à ma survie.

Ce constat c'était imposé après avoir vu son regard calculateur. Il voulait jouer, me tester. Très bien, je passerais tout ses tests jusqu'à qu'il se lasse de moi. Et à ce moment là je trouverais mon échappatoire. Je devais rester forte. Attendre qu'ils baissent leur garde. Je voulais vivre et peu importait ce que je devrais faire pour cela. J'étais terrifiée mais résolue à tout faire pour un jour peut être espérer revoir mon banquier. Retrouver ma vie harassante mais que j'aimais bien trop pour réussir à la quitter.

Je croquais. Mastiquais. Déchirais. Et finalement avalais. C'était répugnant mais atrocement bon. Si on m'avait dit que la vie aurait un jour ce tendre petit goût de mort, je n'y aurais jamais cru.

J'avais tout mangé. Enfin le plus gros de ce qui n'avait pas encore pourris dans ma geôle. Je m'en était léchée les babines devant le sourire de vainqueur du fou.

Sourire vitrine d'une folie que nous partagions.



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Désolée de mon absence j'ai été un peu surbooké ces derniers jours, la suite devrais arrivée plus vite !
J'espère que ça vous plait toujours :) à bientôt
Léa

la marque noireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant