C H A P I T R E 2

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- Vous avez un visiteur, mademoiselle Rhys, m'annonca l'infirmière du Mercredi, une jeune afro-américaine élancée et jolie.
Je savais déjà à l'avance de qui il s'agirait. Ce jeune homme, celui qui m'a sauvé, qui m'a extirpé de la rive, mais à la fois aussi celui qui s'est battu pour ne pas que je rentre dans l'aile psychiatrique de cet hôpital.
Je ne bronchai pas, je restai allongée là, inerte, dans ce lit inconfortable et grinçant. Je songeai une énième fois que, ce n'est pas en entrant dans la section psychiatrique qui m’avait rendue folle, c'était à force d'y vivre qui m'avait rendue complètement barge. Et cet homme continuait vainement de me rendre visite.
- Salut, dit-il platement.
Je me redressai et plantai mes yeux dans les siens. Je conservai impunément ce regard effarouché envers lui.
- Bonsoir, fis-je si bas que je jurais pouvoir l'avoir vu tendre l'oreille.
- Tu vas bien ?
- Magnifiquement bien, ironisai-je en me mettant en tailleur, l'énorme jogging que l'hôpital m'avait prêté formant des ourlets aux extrémités du vêtement.
Il ne cilla pas. Il déglutit, son regard imperturbable et froid, une aura d'importance émanant de lui. La capuche de son sweat était déployé sur le sommet de sa tête, comme à son habitude, donc je ne pouvais apercevoir que le début de la racine de ses cheveux noir de jais. Je sus tout de suite qu'il allait m'annoncer quelque chose de crucial. Je songeai instantanément à Cléa.
- Ton amie, Cléa, elle s'est réveillée.
Un éclair nouveau jaillit au creux de mes iris olives.
- Elle a demandé à te voir. On lui a expliqué la situation. Elle était détruite, de ce que Jughead m'a dit.
Junkface n'appréciait pas particulièrement Jughead qui, d'après son frère jumeau, était une peste égoïste qui ne pensait qu'à lui. Au fur de ses visites, j'ai appris à me méfier de lui. Alors lorsque Junk faisait allusion à celui-ci, je grimaçais un peu. Or, pas quand le nom de Cléa se trouvait dans la même phrase.
- Je déteste penser qu'il est avec elle et pas moi.
- Elle détesterait penser que je suis avec toi et pas elle.
Je me tus. Il marquait un point solide et incontournable. Junkface continua sur sa lancée :
- Ça fait un mois pile que tu es ici, alors ton père viendra te chercher aujourd'hui pour que vous puissiez livrer votre version des faits à la police.
J'acquiesçai silencieusement.
- Je reviens pas ici, pas vrai ?
- Non, c'est finis. Ton père a signé les papiers pour que tu reprennes les cours.
Je trépignais d'impatience, rien qu'à penser que, bientôt, je serai dans la même pièce que Cléa. De nouveau et enfin.
- Cléa aussi ? demandai-je, avide de plus d'information.
Le soupire de Junkface dû en dire long, puisque je me tus davantage. Et cette fois-ci pour de bon.
- C'est la première fois que tu alignes plus de trois mots dans une phrase.
Je demeurai neutre et ne laissai échapper aucun son de ma bouche. Cela faisait un mois qu'il me visitait et s'était confié à multiples reprises. Pourtant, je gardais mes secrets, interdite, aux tréfonds de mon âme, dans les recoins les plus sombres et ténébreux qui soient.
- Je te l'ai dis : tu peux me dire ce qui s'est passé, je n'irai pas voir la police ou qui que ce soit.
- Tu l'as dit, en effet.
- Wow, s'exclama-t-il en ébranlant la capuche sur le sommet de sa tête, six mots.
J'esquissai un sourire en coin.
- Je te l'ai dis : je ne veux pas en parler à personne d'autre que Cléa ou la police si ça peut m'éviter de me faire inculper pour meurtre au premier degré.
Je le toisai un instant. Ses muscles évidents saillaient de son sweat et il portait un skinny noir qui lui allait à merveille. J'étais à deux doigts de complexer, face à mon jogging lourd et lasse, ainsi que mon pull à manche longues, beaucoup trop longues.
- Pourquoi tu ne veux pas ?
- Qu'est-ce qui me fait dire que tu n'irais pas le raconter à tes amis, ou tes parents ou peu importe ? Qu'est-ce qui me fait dire que je pourrais avoir confiance en toi ?
Il humecta ses lèvres fines et roses.
- Parce que j'ai plus de famille, et encore moins d'amis, et aussi car jamais je ne me suis confié à quelqu'un comme ça auparavant.
Je me mis à triturer mes mains menues pour ne pas paraître trop gênée, bien que ça eut un effet contraire. Un silence de mort pesait sur nos épaules et j'en eus mal.
- Donne-moi tes cachets, dit-il au bout d'un moment.
Je lui lançais un regard noir et m'écriai-je assez fort pour que le garde à l'extérieur me dévisage :
- Pardon ?
- Tu vas nous faire cramer. Donne-moi tes cachets, avant qu'ils ne fassent le tour de ta cellule pour ton départ.
Je ne fis comme de rien n'était, puis m'esclaffai. Junk tira les gros yeux, qui devinrent comme deux billes. Je me levai, un sourire scintillant éclairant mon visage. Dès que je ne fus plus à la vue du garde, je me penchai et, derrière la plinthe chauffante, se tenait bien droit un petit sachet rempli à ras-bord de pilules. Ces médicaments qu’ils nous prescrivaient tous ici et qui nous rendaient, sans équivoque, très euphoriques.   Je l'empoignai et revint me positionner devant lui. Je fis mine de prendre sa main et le rouge me monta aux joues. La colère pu se lire dans les yeux te Junk lorsque le colosse devant la porte fit un tapage monstre pour que nous nous séparions. Personne n'aimait le personnel de l'hôpital et il n'échappait pas à la règle.
- Une chance que ton père m'a donné cette ordonnance pour que je puisse venir te voir. Si je ne t'avais pas amené jusqu'à lui, on sait tous très bien que je pourrais pas venir te voir chaque jour.
Le cerbère cogna de nouveau et vociféra un peu, mais je n'y fis pas attention. Cela signifiait juste que la visite de Junkface tirait à sa fin.
Il se hissa sur ses jambes et traversa la pièce.
- On se retrouve au poste. Je viens te chercher chez toi. Convainc ton père.
Ce fut un choc pour moi d'apprendre qu'il allait venir avec moi afin que je puisse rejoindre Cléa. J'en perdis mes remerciements. Il tourna les talons, et de dos, sa voix résonna tout de même dans la pièce comme un orchestre à elle seule :
- T'es intelligente, tu sais.

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 06, 2017 ⏰

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