Prologue

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Note de l'auteur : Bienvenue à tous. Avant d'entrer dans le récit, je vous invite à lancer le média à chaque fois qu'il y en a, pour vous plonger dans l'atmosphère...

Bonne lecture.

Le noir total.

Oublier l'endroit où je me trouve. Oublier ce cauchemar.

Penser à une porte, à la lumière.

Songer à l'eau. Une eau fraîche et revivifiante, sur ma peau sale et sur le sang qui a séché sous mes narines.

Penser, fermer les yeux fort, et penser encore.

La porte en moi s'ouvre... J'accède à mon dehors... Là où personne ne saurait me retrouver.

Une matraque invisible vient lourdement s'abattre sur mon dos et l'épaisse semelle d'une botte m'écrase l'omoplate, me maintenant plaqué face contre terre.

Une voix rauque déchire l'obscurité et les râles mêlés de plaintes des autres passagers :

"Tu bouges pas ! Fils de chien ! Inutile de prier ! Ton dieu ne viendra pas te chercher là où on t'emmène !"

Je ne bouge pas, je ne bouge pas...

Face contre terre.

Je ne fais qu'un avec le sol. Je m'en imprègne.

J'écoute. J'essaie d'entendre mon environnement.

Mes poignets et mes chevilles sont liés par des menottes. Je sens la fraicheur des chaînes dans mon dos allant d'un verrou à l'autre.

Ils m'ont mis un sac en toile de jute noir sur la tête, recouvert d'un épais sparadrap qui entoure mon crâne à hauteur de mes yeux. Une mesure supplémentaire pour s'assurer que je ne puisse rien voir.

Mais lorsque l'on vous prive d'un sens, l'acuité des autres se décuple.

Je sens les odeurs corporelles mélangées à celle de l'urine et du sang. Je sens l'air qui se charge d'une tension insupportable.

J'entends... J'entends tout.

Cette grande clameur qui s'élève.

Ces soubresauts entre deux sanglots.

Beaucoup semblent avoir presque perdu la raison et hurlent à s'en rompre les poumons.

Ceux-là sont comme moi.

Ils ne s'attendaient pas à voir ce jour arriver. Je les entends bégayer des prières, implorer la pitié de nos geôliers.

À quelques mètres de mon oreille, une voix se berce dans une litanie incessante :

"Ma fille... Papa va revenir... Papa va revenir... Zaïnab je vais revenir... InchaAllah..."

Puis se referme à grand fracas une porte coulissante et le véhicule dans lequel nous sommes entassés comme du bétail, finit par démarrer.

Une autre voix. Son timbre laisse présager qu'elle appartient à un adolescent. Il se lamente.

Soudain, émanant de derrière moi des mots étrangement calmes viennent rompre ce bourdonnement de pleurs et de gémissements.

"Ils ont peur de nous mon garçon... Ils ont peur de nous... Sinon pourquoi t'enchaîneraient-ils et te banderaient-ils les yeux ? Avec leurs armes et leurs matraques, ils ont peur de toi..."

Nous ?

Alors j'en suis ?

De ces ennemis déclarés à la civilisation ?

De ce que le monde entier redoute comme l'incarnation du mal ?

De ce qu'on appelle les rejetons de l'humanité ?

À quel moment le suis-je devenu ?

Quand mon passage s'est-il fait ?

J'ai désormais la vie entière pour y penser...

Pour parcourir de ma mémoire tous ces vieux tiroirs...

Car là où l'on m'emmène, le temps n'a plus cours.

Dans ces zones de non-droit, je n'aurai probablement jamais ni avocat, ni procès.

Je serai un numéro de matricule placardé sur la photo d'un dossier classé confidentiel.

Sans nul espoir de retour...

Un idéalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant