Chapitre 11 : "J'atteste qu'il n'y a de dieu que Dieu"

155 26 25
                                    

Je n'avais jamais eu l'impression de devoir choisir un camp. Et pourtant, maintenant que mon frère l'avait mentionné, je ne pouvais m'empêcher d'y penser.

Il avait raison, nous n'avions pas été élevé dans une ambiance particulièrement religieuse. Ma mère avait toujours été assez discrète sur le sujet. C'est peut-être en raison de ce silence qu'une fascination s'emparait progressivement de moi.

Une curiosité qui malgré moi, s'amplifiait de jour en jour. Irrésistiblement, je me sentais attiré par ce besoin de connaître, de comprendre...

Dans un premier temps, je ne l'assumais pas. Je ne voulais pas croiser le regard plein d'ironie d'un de mes potes, je ne voulais pas non plus affronter les questions ou même l'approbation de ma mère. Plus que jamais, je voulais que cela reste secret.
Paradoxalement, j'avais cessé de me rendre dans la petite mosquée. J'avais honte d'y aller sans pouvoir accomplir les rites comme les autres, alors je décidais de rester chez moi.

Les semaines qui suivirent furent particulièrement solitaires.

Sans intention bien définie, je fouillais les articles mais surtout les vidéos. Je m'enfermais dans ma chambre et enchaînais fébrilement tout ce que je pouvais trouver sur Youtube. Je tapais naïvement "Islam" sur la barre de recherche sans me douter de ce que la toile allait me jeter au visage.

Je crois que mon premier objectif n'était pas profondément spirituel. Je voulais connaître les rites, le b.a.-ba de cette religion qui était censée être la mienne. Me réapproprier une part de cette identité méconnue. À l'âge que j'avais, la religion était pour moi, avant tout quelque chose de visible, de visuel, une apparence qui marquait la différence avec les autres. Une succession de choses qui prouvaient notre appartenance à cette communauté.

Je n'étais alors pas dans l'être, mais dans le paraître. Une erreur assez fréquente chez les jeunes plein de zèle laissés livrés à leur écran d'ordinateur pour apprendre leur religion. Je regardais prioritairement des vidéos sur les étapes de la prière rituelle. Mais sans en comprendre le sens profond. Je sentais juste que c'était "bien", que c'était "ce qu'il fallait faire".

N'espérant pas le soutien de Salim, je ne lui en parlais pas non plus.

D'apparence, j'étais toujours le même, peut-être plus introverti qu'avant, mais avec le départ de mon frère, mon entourage ne m'en tint pas rigueur.

Pourtant, je sentais que quelque chose se transformait en moi. Ma grille de lecture du monde commençait à se modifier. Intérieurement, je remettais en question mes certitudes passées, sans pour autant en avoir d'autres pour les remplacer. Le doute d'avoir été dans le faux toute ma vie me tenaillait.

Je me mis à prier pour la première fois, un soir dans ma chambre.
J'avais mémorisé, non sans difficulté, les mots à dire en arabe ainsi que les gestes et je décidai enfin à me lancer.

Je ne comprenais pas le sens exact des mots que je disais. Ma posture était maladroite et hésitante. Pourtant, je songeais intérieurement : "Est-ce que je suis réellement en train de créer le contact avec Dieu ?"
Et cette idée-là me fit soudain tressaillir d'émotion.

Je regardais le ciel à travers ma petite fenêtre et le trouvais brusquement effrayant d'immensité.

Dans mon imaginaire, Dieu et le ciel avaient toujours été indissociables. Je pensais sans doute que l'idée du Créateur me dépassait tant qu'elle ne pouvait venir que de très haut au dessus de ma tête.
Et ce soir, je me sentais plus insignifiant que jamais.
Au moment où ma tête toucha le sol pour la prosternation, je me dis que c'était fait : je m'étais soumis à Dieu et étais devenu musulman. J'étais passé de l'autre côté.

Un idéalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant