Le soleil fait enfin son apparition. Maman ne va pas tarder à se lever. Le réveil indique sept heures et demie : il est temps de chercher ma tenue de sport. Cela fait déjà une semaine que les vacances ont débutées et je me suis laissée entraîner par la flemme. Mais aujourd'hui pas question de sécher le sport. Je relève la masse de frisottis qui me sert de cheveux en une queue de cheval. J'enfile mon short, ma brassière et mes baskets - plus usées que jamais- avant d'entrer dans la cuisine.
-« M'ma ? M'ma ? », m'écris-je, avant de baisser la voix de peur de réveiller Martin. Je me dirige vers le frigo où je peux lire : Partie faire une course, je ne serai pas longue.
Je retiens un soupir. Tout me laisse penser que quelque chose d'inquiétant se trame. Maman agit étrangement ces derniers temps. Il n'a jamais été à son habitude de sortir avant 7h30 du matin. Je fais abstraction de la sécheresse de son mot car je sais que jamais elle ne s'adresserait à moi de cette manière s'il n'y avait pas urgence. J'ouvre le frigo et me sert. Un jus d'orange et 3 cookies plus tard, je retire mes baskets. Si je me suis levée à cette heure, autant mettre de l'ordre à la maison. Outre le comportement étrange de maman, un désordre impressionnant s'est installé à la maison. Le lit de maman, plus communément appelé le canapé, sert de support à la pile de linge sale. Je me mets à la recherche d'un pagne et une fois tous les vêtements emballés je les mets dans le débarras. Après de nombreux aller-retour entre le salon et la cuisine je parviens à retirer toute la vaisselle sale et à rendre le salon présentable. J'entame la vaisselle par la suite.
Vingt minutes plus tard, alors que je commence à peine à ranger la vaisselle, j'entends le crissement d'une clé qui s'insère dans la serrure. Je lance « Salut M'ma » sans même me retourner. La porte claque derrière Maman, et lorsque je me retourne, je vois le même sourire triste qui s'affiche depuis des semaines, peut-être même des mois. Elle jette un œil au salon puis son regard se dirige vers moi à nouveau.
- Merci pour le ménage.
Elle remarque ensuite mes chaussures qui traînent près de la porte de la cuisine. Après m'avoir toisée de ses yeux noisette elle me lance :
- Ne t'embête pas plus longtemps. Tu pars pour Les coteaux ?
- Oui, je ne serai pas longue. Je serai là dans moins d'une heure, j'ajoute après avoir lu 7h52 sur la vieille horloge qui surplombe le plan de travail.
Mes chaussures de nouveau enfilées, je sors en tentant de faire le moins de bruit possible pour que Martin ne se réveille pas. S'il n'a pas le meilleur des foyers, peut-être qu'un bon sommeil ne serait pas de trop. Je m'en vais à pieds au Parc des Coteaux, oubliant les soucis de Maman, oubliant ce qui l'a fait sortir de sitôt.
Arrivée aux Coteaux, je débute sans tarder avec de grandes foulées. Oui, le sport m'a manqué. Le stresse accumulé lors des révisions du bac, de la recherche d'écoles et des demandes de bourses privées m'ont épuisée. Cet épuisement s'est reflété dans mon alimentation : oui, quand je stresse je mange. Beaucoup. Énormément. Il est temps de brûler tout cela.
Je cours, et bientôt j'oublie tout. Fatigante et épuisante, la course donne toutes les raisons d'être aimée n'est-ce pas ? Je passe le chêne où le vieux lit son journal comme d'habitude. Une fois passé la Fruitbox je sais qu'il ne me reste que quelques minutes avant de devoir m'engager sur le chemin de retour. Mélissa, souriante comme à son habitude m'indique qu'il est déjà 8h20. C'est la seule personne que je n'ai jamais vu se tenir à la Fruitbox. Elle doit être proche de la cinquantaine. Mélissa est comme un membre de la famille. Peut-être n'est-ce pas ma confidente mais je sais qu'elle et maman sont assez proches.
- Cela fait un moment, me dit-elle.
- Oui en effet, j'halète. L'école et tout ce qui va avec... dis-je à bout de souffle.
Elle hoche simplement la tête. Je reste quelques secondes de plus avec elle. Elle demande des nouvelles de maman et je lui dis que tout va bien. Elle n'a pas à savoir que maman n'est pas au plus haut de sa forme. Je fais abstraction du regard qu'elle me lance, dans lequel je décèle une once de suspicion. Je reprends tranquillement ma course et rentre à la maison à pieds.
***
De retour, je peux voir que ma mère est partie au travail et que mon frère est enfin debout par la lumière qui luit en dessous de sa porte.
- Martin ?! J'appelle mais il ne répond pas.
Je me dirige vers la porte et m'arrête net en entendant une conversation. Je me dis d'abord qu'il parle avec Gilda. Soudain je me rends compte qu'il semble frustré. Rien à voir avec ses disputes habituelles qu'il entretient avec les gars du basket. Lorsque j'entends Maman sortir de sa bouche, j'ouvre la porte à la volée.
- Yass... bien dormi ? me lance-t-il en cachant son téléphone derrière son dos.
- Pas si mal, ouais. Je reviens d'un jogging en fait, je lance en restant sur mes gardes. J'interromps une conversation ?
- Nan, t'en fais pas. C'était juste un gars du basket.
Je me retourne et lance un ok à mon frère. Je ne tiens pas à ce qu'il voit le regard suspicieux que j'arbore en raison de ce mensonge. S'il y a quelque chose dont je suis certaine, c'est que Martin ne m'avait jamais menti. Même la fois où il avait fumé. Même la fois où il a dit à maman qu'il allait chez un gars du basket alors qu'il dormait chez Gilda. Même la fois où je l'ai trouvé en sang alors qu'il réglait leurs comptes à ceux qui se moquaient des habits de pauvres qu'il portait. Mais aujourd'hui, il m'a menti. J'ose espérer qu'il y a une bonne raison pour laquelle il m'a menti. Quelle qu'elle soit, s'il ne m'en parle pas avant je devrais trouver ce qu'il me cache toute seule.
Je choppe ma serviette et la lance sur mon dos. Alors que j'entre dans la salle de bain pour couler mes soucis sous l'eau chaude, Martin m'interpelle pour me dire que mon téléphone sonne. Je lui réponds que je regarderai ça plus tard. Encore.
***
Le reste de la journée est inintéressant. Gilda est venue prendre Martin peu après ma douche et maman est rentrée à 17h. Je m'apprête à aller bosser. Je jette un œil à mon reflet dans le miroir avant de m'en aller. Bien que la tenue soit très jolie - une jupe évasée et une chemise bleu nuit très sexy - je ne parviendrai pas à l'aimer. Elle me rappelle trop le travail minable que je m'efforce à exercer pour aider maman. Si papa était toujours là, tout serait tellement meilleur. Cela fait déjà 5 mois que je travaille au Verre de Nuit. Ma candidature a été validée dès mes dix-huit ans en raison du manque de personnel du bar. Etre barmaid n'est pas le meilleur job mais 500 euros ne se refusent pas quand votre mère s'acharne au travail. Par ailleurs, les pourboires me permettent de m'offrir quelques plaisirs que je ne pourrais pas me permettre en temps normal.
Deux coups de gloss et d'eye-liner plus tard, j'enfile mes talons. Je suis sur le point de dire au revoir à maman. Quand je l'aperçois dans la fine embrasure de la porte je fais une pause. Ralentissons cette scène : vous connaissez ce sentiment ? Celui qui vous ronge et vous retourne l'estomac en raison de votre impuissance face à la peine d'un proche pour lequel vous donneriez tout ? C'est ce que je ressens en ce moment. J'observe maman par la fenêtre de sa chambre-salon, le regard perdu dans le paysage. Elle assiste au coucher de soleil sanglant comme elle les aime.
- M'ma, dis-je en entrant. J'y vais.
Elle se retourne, surprise de mon départ précipité.
- Si tôt ? Il n'est que 21h. Tu prévois d'aller autre part ? S'inquiète-t-elle.
- Il faut que j'aille aider. C'est les vacances et il y aura du monde. Nora m'a laissé me reposer cette semaine et je ne veux pas qu'elle pense que j'abuse de sa gentillesse. Et puis on ne sait jamais quand les meilleurs pourboires peuvent tomber, fini-je, un timide sourire en coin.
Ma mère hoche la tête en guise d'au revoir. Je m'éloigne, ouvre la porte et fuis le triste regard de ma mère. Celui qu'elle arbore depuis que papa nous a abandonnés.
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General FictionYacine, 18 ans, commence tout juste à affronter les difficultés de la vie. Après le départ inattendu de son père et les mauvaises passes de sa mère, elle était préparée à ce que lui réservait l'avenir. Mais, lui... Lui et ses lèvres charnues... lui...