Further

4 - Yacine

« Aller Yass, tu peux le faire ! ». Je chuchote. Cette fois je ne me dégonflerai pas. Je n'effacerai pas le numéro pour la septième fois. Mais que vais-je lui dire ? Hey l'autre ! Tu pourrais me rendre mon téléphone dans la matinée ? Je lève les yeux au ciel tellement je suis ridicule. J'inspire. J'expire. Je compose. J'appel. J'écoute. Ça sonne ! Quelqu'un décroche... mais personne ne parle. Est-ce lui ?

- Allô ? Je lance timidement.

- Mhhhh... C'est toi ma belle ? Il paraît endormi. Je me demandai bien quand est-ce que tu te déciderais à appeler. D'ailleurs...

Il s'apprête à enchaîner mais je le coupe net.

- Il faut absolument que je récupère mon portable ! Je ne veux pas faire pitié mais tu n'as pas idée d'à quel point j'en ai besoin. Peu importe la raison pour laquelle tu voles dans un bar, il va falloir que tu fasses une excep...

Je m'arrête de parler lorsque je l'entends...rire ?

- Yass, il chuchote.

C'est le dernier moment pour que mes pensées aillent dans cette direction, mais je ne peux pas m'empêcher de souligner à quel point mon nom rend bien sur sa langue. Il se l'approprie si bien. D'un côté je regrette qu'il connaisse mon nom alors que je ne sais rien de plus que le fait qu'il s'appelle... l'autre – surnom que JE lui ai donné – mais d'un autre côté j'admire la façon dont il prononce mon nom. Il y a quelque chose d'excitant à savoir qu'il l'adapte si bien, et juste après son réveil. Et puis cette voix est...

- Tu confonds absolument tout, il me sort de ma délicieuse rêverie. Pourquoi est-ce que tu parles de vol ?

C'est une blague ?

- C'est une blague ?

- Quoi ? Non, bien sûr que non. C'est ce que je comptais t'expliquer. C'est un accident. Un bel accident, avantageux, certes, mais un accident quand même. Je n'avais absolument pas l'intention de m'en aller avec ton téléphone.

Décidemment, toutes les femmes qui disaient qu'ils étaient tous les même avaient raison. Je retire tout ce que j'ai dit sur les citations qui affirmaient que le monde était semé de Thomas (de connards). Il se fout de ma gueule.

- Tu te fous de ma gueule. Tu ne vas pas me dire que tu as pris mon portable par accident et que tu as fini dans ton lit avant de te rendre compte de ton erreur. Mais c'est quoi votre putain de problème à la fin ! Sans m'en rendre compte je me suis mise à parler à haute voix.

Un bref silence s'écoule. Il inspire puis reprend la parole.

- Ecoute Yass, rien dans son ton ne me fait penser qu'il n'est pas sérieux. Je n'ai pas volé ton portable. Peu importe que tu me crois ou non. Te regarder pendant la soirée était amusant et foutre l'autre con en rogne aussi, je l'avoue. Si ton portable m'intéressait, pourquoi est-ce que j'aurais répondu ?

Il n'a pas tort. Si mon portable était son souci, il ne m'aurait jamais répondu. Il a peut-être raison, mais je mets cette hypothèse de côté.

- J'ai du mal à te croire, je réplique.

- Mais ça, c'est ton problème et pas le mien, il dit, le ton amusé. Si tu as fini de ne pas me croire j'aimerai bien retourner dans mon rêve. Avant que tu ne m'interrompes je me faisais tailler une pi...

- Je ne veux pas entendre ça !

- Ne pas entendre quoi ? Que je me...

- Pfff... très classe.

- C'est bien de le reconnaître, dit-il non sans satisfaction.

Un silence s'écoule puis je l'entends prendre une inspiration.

- Bon... on se voit demain ?

- Hein ?! Je hoquète presque.

- Pour le portable, il faut que je te le rende. Je passerai au bar. A moins que tu ne le veuilles dans la journée. Dans quel cas je serai disposé à te voir. Ta petite jupe me manque déjà.

Je lève les yeux au ciel oubliant qu'il ne fait que m'entendre.

- Va pour la journée. Au KFC du plateau, c'est proche du bar. J'y serai à 10 heures.

- Quoi ?! Aussi tôt ? Tu te rends bien compte qu'il est (un bref silence s'écoule) 3h20 du matin ! C'est quoi ton truc ? T'es insomniaque ?

Je ne réponds pas tout de suite. Je ne m'étais pas rendu compte qu'il était déjà aussi tard. Après que mon téléphone ait disparu, Nora a refusé que je m'en aille de suite en raison de la masse de clients. Elle a évoqué à la fin de mon service qu'il fallait que l'on ait une conversation. Je n'y avais pas prêté attention et j'ai foncé prendre un Uber. Arrivée en trombe, je me suis rapidement remise en me rappelant que tout le monde dormait à cette heure-ci. Après avoir délicatement retiré mes chaussures, je m'étais faufilée dans la chambre de Martin. Il vaut mieux qu'il ne sache pas que j'ai le code de son portable (alias MA date d'anniversaire).

- Bon ok. Va pour 11 heures.

- C'est moi qui choisis le lieu. Tu habites où ?

- Pas question que je te le dise.

Il soupire.

- Pourquoi ça ? Il ricane.

- Qui me dit que tu n'es pas le nouveau Ted Bundy ?

- Tu as raison, j'abandonne. KFC du plateau comme prévu.

Au même moment, je laisse échapper un bâillement digne d'un lion. La classe.

- C'est le signal pour aller dormir. Je retourne veiller au bon déroulement de cette pipe.

- AHHH.

- Bonne nuit à toi aussi bébé.

Et il raccroche.

***