The boy behind the pictures.

Faire semblant.

C'est dans un silence blanc que Aaron prononça ces mots. Le pauvre type qui n'avait rien vu venir, baissa les yeux. Ici, les chiens devaient se soumettre à leur maître. Quelques-uns se mirent à rire en camouflant leur bouches dégoulinantes de mensonges et s'étouffants à moitié dans des litres de vanité pure et d'égocentrisme parfois refoulé.  
Khan riait intérieurement. Il aimait se railler des animaux qu'il avait en face de lui. Dans les commentaires, il voyait souvent les mêmes têtes. Des gens d'un peu partout, mais aussi des ados de sa classe. Ce sont ces mêmes personnes qui l'ignorait ici. Ces mêmes personnes qui parfois, en manque d'inspiration hostile, crachait des bruissements de couloir lamentables à son propos, sans pourtant même connaître son nom.  
Pendant un instant, le coréen perdit pieds. Il se laissa distraire par les environs. Les bruits de fond s'effacèrent. En réalité, le son persistait mais lui n'écoutait plus. Le carrelage jaunit, l'odeur de javel abondamment dispersée sur le sol, un peu au hasard, juste histoire de couvrir l'odeur putride de l'humidité qui se cramponnait partout dans les salles, et la mauvaise humeur ordinaire du personnel lui revenait à l'esprit. Au final, rien ici n'était absolument différent de chez lui. La cage d'escalier du taudis où il vivait ne sentait pas meilleur. La maigre différence se trouvait dans sa chambre. Malgré des moyens plus que faibles, Khan avait aménagé sa chambre de sorte à ce que rien ne reflète une pauvreté apparente. C'est donc avec goûts qu'il avait choisi de jolis tissus pour couvrir son matelas en mauvais état. Il avait peint lui-même ses murs dans un ton bordeaux qu'il affectionnait particulièrement. A cela, il avait ajouté des photos de paysage qu'il admirait, toujours dans le but ultime d'avoir une chambre "normal". Une chambre d'adolescent joyeux, épanoui, et sociable. Il s'était construit un mensonge, même dans ses vidéos ou ses photos, voulant plus que tout faire croire à une vie parfaite n'illustrant que la plénitude. Quand il était forcé de redevenir l'être ennuyant et invisible, il posait avec attention sa longue perruque grise sur un sorte de trépied qu'il avait fabriqué lui-même. Il coiffait les longues mèches cendrées qui faisaient pâlir les jeunes adolescentes avec une brosse en bois dont il adorait le son du frottement. Il avait l'impression constante d'être imprégné de crasse à cause de son environnement, alors, il aimait prendre soin de lui, se parfumer, mettre des crèmes, etc. Si son frère avait le malheur de le surprendre en train de se parfumer, il entrait dans une colère noire qui ne finissait que très souvent par des sanglots. Jamais pourtant son frère n'avait découvert la vérité sur sa "double vie", fort heureusement pour lui. Mais il entretenait des spéculations juvéniles au sujet de son homosexualité. Tae supposait que son frère était gay, ce qui lui donnait une raison de le haïr encore plus, et de le rejeter.

Le garçon monochrome revint sur terre. Il leva les yeux, devinant que ceux qui sortaient en direction des toilettes n'y allaient pas pour uriner. Alors, pour ne pas paraitre trop suspect, il regarda sa propre vidéo, mimant un air surpris et ravie. Khan laissa un commentaire sous la vidéo avec un autre compte qu'il s'était créé, puis rejeta la tête en arrière avant de tourner les yeux vers son voisin de table. Dans un sourire léger, il s'adressa à lui :

- Alors, je suppose que le cours est annulé.

Dans un élan de confiance sortie de nulle part, rapprocha sa chaise vers Aaron, puis, de sa voix habituellement suave, lui demanda :

- Comme on ne risque pas d'avoir un prof de français avant longtemps, est-ce que tu pourrais m'expliquer le dernier chapitre ?

C'était la première fois qu'il s'adressait à un "populaire", et c'était aussi tout simplement la première fois qu'il s'adressait à Aaron. Il lui avait deviné un sens aigu des priorités, une adresse et une douceur spontanée, ainsi qu'un profond respect pour ceux qui le méritait. D'un air détaché, il posa ses lourdes chaussures noires sur la table, puis croisa les bras.

- Tu ne vas pas aux toilettes comme les autres ?