Préface

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Lettre 1
À Madame Saville,
Angleterre

Saint-Pétersbourg, 11 déc. 17

Tu seras heureuse d'apprendre qu'aucun désastre n'a marqué le début de l'entreprise au sujet de laquelle tu nourrissais de si funestes pressentiments. Je suis arrivé ici, hier, et ma première tâche est de tranquilliser ma chère sœur et de lui faire part de ma confiance croissante dans la réussite de mes projets.
Je suis déjà bien loin, au nord de Londres, et tandis que je me promène dans les rues de Saint-Pétersbourg, je sens souffler sur mes joues une aigre bise qui stimule mes nerfs et me comble de joie.
Peux-tu comprendre ce que j'éprouve? Je vais assouvir mon ardente curiosité en visitant une partie du monde qui n'a jamais été explorée, et il se peut que je foule un sol sur lequel aucun être humain n'ait encore posé le pied. Telles sont les séductions que j'éprouve. Elle me suffiront à surmonter toute crainte du danger et de la mort.
Tu ne peux mettre en doute le bénéfice inestimable que j'apporterai à l'humanité, jusqu'à la fin des temps, en découvrant, à proximité du Pôle, un passage maritime vers ces pays que nous mettons actuellement tant de mois à atteindre, ou en perçant le secret de la force magnétique, qui ne peut être découvert - s'il est possible de le faire - autrement que grâce à une entreprise telle que la mienne.

La période actuelle est la plus favorable pour se déplacer en Russie. Les traîneaux volent littéralement sur la neige. Le froid n'a rien d'excessif si vous êtes enveloppé de fourrures, une façon de s'habiller que j'ai déjà adoptée. Je n'ai nullement l'intention de perdre la vie sur la route postale reliant Saint-Pétersbourg à Archangel. Je partirai pour cette ville dans deux ou trois semaines. Je me propose d'y fréter un navire et d'engager ensuite, parmi ceux qui ont l'habitude de pêcher la baleine, autant de marins que je l'estimerai nécessaire. Je compte lever l'ancre avant le mois de juin; mais quand reviendrai-je?
Ah, chère sœur! Comment pourrais-je répondre à cette question? Si je réussis, il s'écoulera beaucoup, beaucoup de mois, peut-être même des années, avant que toi et moi puissions à nouveau nous trouver réunis. Si j'échoue, tu me reverras bientôt, ou jamais.

Adieu, ma chère, mon excellente magrette. Puisse le Ciel te prodiguer ses bénédictions et me venir en aide, afin qu'il me soit permis encore et encore de te témoigner ma gratitude pour toute ton affection et ta gentillesse. - Ton frère attentionné,

Robert WALTON

Lettre 2
À Madame Saville,
Angleterre

Archangel, 28 mars 17

Que le temps s'écoule lentement ici, entouré, comme je le suis, de glace et de neige! Cependant, un second pas a été franchi dans la réalisation de mon entreprise. J'ai réussi à fréter un navire, et je m'occupe maintenant à réunir un équipage. Les marins que j'ai déjà engagés semblent être des hommes sur lesquels je puisse compter, et il est certain qu'ils possèdent un courage à toute épreuve.
Il est cependant un désir que je n'ai encore jamais pu satisfaire, et cette lacune m'apparaît, à présent, comme profondément regrettable. Je n'ai pas d'ami, Margaret. Alors que le succès me remplit d'enthousiasme, je n'ai personne avec qui je puisse partager ma joie. Si un désappointement m'attend, nul ne sera à mes côtés pour me souvenir. Certes, je confierai mes sentiments au papier, mais c'est là un pauvre confident à qui communiquer ce que l'on ressent. J'aspire à la compagnie d'un homme qui puisse sympathiser avec moi; un homme dont le regard répondrait au mien. Tu va sans doute me juger romantique, ma chère sœur, mais je ressens cruellement ce manque d'ami. Je n'ai personne auprès de moi, qui soit aimable et cependant courageux, à la fois compréhensif et cultivé, personne dont les goûts soient pareils aux miens, et qui puisse approuver mes projets ou m'aider à les modifier.

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