Chapitre 4

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En M. Waldman, je trouvai un véritable ami. Sa gentillesse était toujours exempte de dogmatisme, et il enseignait avec un accent de franchise et une amabilité dépourvus de toute pédanterie. Il favorisa mon accès à la connaissance de mille manières et sut me rendre claires et simples les recherches les plus abstraites. Au début, mon application fut assez irrégulière, mais elle s'affermit à mesure que je progressais, jusqu'à devenir bientôt tellement assidue que, bien souvent, les lueurs de l'aube me surprenaient encore au travail dans mon laboratoire.

Deux semaines passèrent ainsi, durant lesquelles je ne retournai jamais à Genève, engagé que j'étais, corps et âme, dans la poursuite de découvertes auxquelles j'espérais aboutir.

Je progressais si rapidement qu'à la fin de ces deux années, j'étais parvenu à faire, dans le domaine de l'amélioration de certains instruments de chimie, des découvertes qui me valurent, à l'université, beaucoup d'estime et même une certaine dose d'admiration. Lorsque je fus parvenu à ce point, je me dis qu'une prolongation de mon séjour en cette ville ne me permettrait pas de progresser davantage. Je songeais à aller retrouver les miens, dans ma ville natale, quand se produisit un incident qui me fit, momentanément, renoncer à ce projet. Un des phénomènes qui avaient particulièrement retenu mon attention était la composition de la structure humaine, comme celle d'ailleurs de tout animal vivant. Je me demandais sans cesse d'où émanait le principe de la vie. C'était une question hardie, qui avait, de tout temps, été considérée comme un insondable mystère.

Afin d'être à même d'étudier les causes de la vie, je devais d'abord me pencher sur celles de la mort. Je me familiarisai avec la science anatomique. Mais cela ne suffisait pas. Je devais aussi observer la décomposition naturelle et le processus de corruption du corps humain après la mort.

Afin d'être en mesure d'étudier les causes et les étapes de la décomposition, j'étais à présent contraint de passer des journées et des nuits entières dans des caveaux et dans des charniers. Mon attention se concentrait ainsi sur les choses les plus insupportables à la délicatesse des sentiments humains. J'observais comment la beauté corporelle de l'homme se dégradait petit à petit, en allant vers le néant. Je voyais la corruption de la mort succéder à l'éclat de la vie. Je découvrais comment les vers se nourrissaient de ses merveilles que sont les yeux et le cerveau. Je m'appliquais à examiner et à étudier minutieusement le procédé de transformation, tel qu'il apparaît dans le passage de la vie au néant, ou du néant à la vie. Jusqu'au jour où, au sein des ténèbres, une lumière jaillit soudain dans mon esprit, tellement brillante et merveilleuse, et pourtant si simple dans son explication que je fus stupéfié à l'idée qu'il me fût réservé à moi, un novice, de trouver la clef d'un aussi extraordinaire secret, là où avaient échoué tant d'hommes de génie.

Après des jours et des nuits d'un labeur inimaginable, j'étais parvenu, au prix d'une intense fatigue, à découvrir le secret de la génération et de la vie. Non, bien plus! J'étais à même de conférer la vie à de la matière inerte.

La stupéfaction que j'avais d'abord éprouvée se mua bientôt en pur ravissement. Ma découverte était tellement importante, tellement sensationnelle, que j'oubliai la longue suite de tâtonnements qui, petit à petit, m'y avaient conduit, pour ne plus considérer que le résultat. Ce qui, depuis la création du monde, avait fait l'objet des études et des aspirations des hommes les plus savants était à présent à ma portée.

Lorsque je me fus rendu compte du pouvoir extraordinaire dont je disposais, j'hésitai longtemps sur la manière de l'utiliser. Bien que je fusse en mesure de donner la vie, il n'en demeurait pas moins que l'élaboration d'un organisme propre à la recevoir, avec ses réseaux compliqués de nerfs, de muscles et de vaisseaux sanguins, représentait une somme incroyable de travail et de difficultés à surmonter. Je ne savais, d'abord, si je devais tenter de créer un être semblable à moi, ou me contenter d'un organisme plus simple.

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