Onze

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Henry

Quand j'ouvre mes paupières, je crois d'abord être dans ma chambre de l'appart, jusqu'à ce que je vois les murs blancs et que je me rappelle de ma nouvelle demeure. Au moins, je n'ai plus mon tapis de sol me servant de lit, mais bien un véritable matelas, que je suis allé acheter hier. Avec un bâillement, je mets des jeans noirs, un t-shirt noir et mes souliers noirs, en me disant que j'arrêterai de porter cette couleur seulement quand j'en trouverai une plus sombre.

***

Poème #90. 10:01

La profondeur m'appelle
Dans cette liquide dentelle,
Mon corps est en dissolution
Le temps en dilatation

Mes organes crient mais le son
Ne produit pas chemin long
Il se perd dans le bleu néant
Tel une étoile filante dans son élan

Je veux nager à la surface
Je veux sortir de la masse
Je veux m'épanouir
Mais je me sens m'évanouir

Après deux heures à griffoner pendant que l'enseignante d'économie parle de l'offre et de la demande, c'est maintenant un cours de littérature qui est à l'horaire. J'écoute (ce qui est plutôt rare pour moi dans ce lycée) M. Robert discuter de Jean-Paul Sartre. Il nous prête chacun un exemplaire d'une de ses pièces de théâtre, Huis Clos, et nous demande de la lire pour la semaine prochaine. Les élèves poussent un soupir de découragement, mais pas moi. Primo, je l'ai déjà lu et, deuzio, je l'ai tellement aimé qu'il me ferait un plaisir de le relire. M. Robert discute de la célèbre phrase du philosophe, «L'enfer, c'est les autres». Ma nature ne peut contredire cette phrase. Je l'écris dans Obscur.

— Plusieurs pensent que cela signifie que nos relations sociales avec autrui sont toujours synonymes de poison. Mais ce n'est pas le message que Sartre a voulu transmettre. Il voulait simplement dire que les autres sont ce qu'il y a de plus important pour nous, donc si nos relations avec ceux-ci sont tordus et néfastes, alors on se retrouve en enfer.

J'ai l'impression que ma vision de la vie vient de changer drastiquement. Il est en train de me dire que la vraie signification de la phrase du philosophe m'a toujours échappé? Le son de la cloche interrompt ma stupéfaction. Au moment où j'allais passer la porte, M. Robert m'appelle.

— Oui, monsieur? dis-je.

— Je voulais savoir si tu t'étais inscrit à l'université.

J'espère que mon exaspération ne paraît pas trop sur mes traits. Pourquoi me demande-t-il cela?

— Non, je vais travailler au Trente-Trois Tours.

Il me fixe longuement et déclare :

— Ta mère n'aurait pas souhaité que tu travailles à ce magasin toute ta vie. Elle aurait voulu que tu fasses ton propre chemin...

Je n'y crois pas. Comment ose-t-il parler de ma mère aussi allègrement? Je sens la colère monter en moi.

— Comment savez-vous ce que ma mère aurait voulu? Vous pensez l'avoir connu plus que moi? Ce magasin était tout pour elle! Je ne le ferm-

— Henry, ce n'est pas ce que je dis.

Son calme me fâche encore plus. Pour qui se prend-il? Parce que j'ai habité chez lui quelques temps, il croit me connaître et savoir ce qui est bon pour moi?

Adolescents FluorescentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant