* Chapitre 23 *

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 Tom avait définitivement compris que le jeu n'avait aucune règle. Alors il se contentait de foncer droit devant lui en réfléchissant, encore et encore.

Une sortie. Ce n'était pas ça qu'ils devaient chercher. De ce que le jeune homme avait pu entendre, les joueurs arrivaient ici par le biais d'une cellule qui devait être le seul lien avec l'extérieur : l'unique porte d'entrée devenait alors l'unique porte de sortie. Restait à la trouver, puis à comprendre comment l'ouvrir.

̶   ... Dis moi... Tu sais où tu vas ?

Jade le suivait tant bien que mal, trottinant pour rattraper son pas rapide. Tom ne lui avait pas fait part de son raisonnement, trop occupé à le détailler, mais il ne faisait aucun doute qu'elle n'allait pas tarder à déboucher sur la même conclusion que lui ; il ne lui fallut pour cela que quelques secondes, du moment où elle posa sa question jusqu'à ce qu'elle attrape Tom par la capuche pour le freiner.

̶   J'imagine que ça pourrait être intéressant.

Elle pointait du doigt une porte blindée au dessus de laquelle figurait un panneau en métal délavé par les années : cellules. Il passa devant sa camarade sans lui adresser le moindre regard et poussa la porte.

Il devait y avoir une dizaine de cellules, toutes rangées sur le côté droit du couloir, laissées grandes ouvertes par les soins du MJ. Une petite couchette sommaire avait été aménagée dans chacune d'elles, probablement pour en faire des lieux de repos. Jusque là, rien qui puisse intéresser Tom. Alors il continua sa route jusqu'à ce que Jade le tire une fois de plus, les yeux rivés sur l'une des dernières cellules du couloir :

̶   Il y a quelqu'un.

Une jeune femme était enfermée de l'autre côté des barreaux, allongée sur un matelas de fortune. Elle tournait le dos aux deux compagnons mais ses cheveux roses, maintenant tachés de rouge, étaient reconnaissables entre mille. Syrinailla. Elle semblait assoupie : Loïs avait du l'assommer et la traîner jusqu'ici pendant que Tom verrouillait la porte E138... donc l'agresseur ne devait pas être bien loin.

̶   Jade, tu devrais...

Elle lui plaqua la main sur la bouche, l'intimant clairement au silence, puis entreprit d'ouvrir la marche. Tom se retint de la contrarier et la suivit à pas de loup, toujours prêt à la tirer à l'abri en cas de danger.

La cellule de Syrinailla était la troisième en partant de la fin du couloir. La seconde était également verrouillée mais, contrairement aux autres, était aménagée d'une manière plus personnelle : on pouvait y apercevoir une veste abandonnée sur le lit, un extincteur, un revolver (vide, sans quoi l'un des joueurs aurait déjà passé le bras entre les barreaux pour le récupérer) abandonné à même le sol et un présentoir à clef duquel pendaient trois plaques militaires. Tom aurait voulu s'en approcher pour les voir plus en détail mais Jade l'interpella.

 ̶   J'ai trouvé.

La dernière cellule était différente. Elle ne s'ouvrait pas seulement sur le mur de droite mais s'étendait sur tout le fond du couloir : les barreaux étaient fixés au plafond par un enduit immaculé, bien plus récent que le reste du bâtiment, et la résistance de la porte dépassait celle des autres geôles. Elle avait été construite spécialement pour le jeu, devant une gigantesque porte blindée au verrou électronique éclairée d'une diode rouge. Mais le nom de la porte avait été effacé.

Tom serra les dents.

̶   Bordel... maugréa-t-il. Il va falloir trouver le nom de cette foutue porte. Est-ce que t...

̶   Chut... !

Tom se retourna vers Jade. Elle s'était rapprochée de lui et l'agrippait par la manche, comme si elle s'apprêtait à réagir face à un danger immédiat. Elle tendait l'oreille, le visage tournée vers la porte d'entrée. Tom en fit de même.

Il ne perçut d'abord que le cliquetis des néons, incessant depuis leur arrivée dans cette portion de bâtiment, puis il sentit un tremblement infime traverser le sol, presque rythmé, suivit d'un murmure lointain. Il baissa le regard vers Jade. Elle tourna vers lui un visage crispé par la peur et la réflexion. Ils étaient coincés.

Soudain, Tom atterrit dans l'une des cellules sans réellement comprendre comment. Jade lui lâcha le bras et désigna la couchette du menton avant de courir dans la geôle voisine : le jeune homme n'essaya pas de comprendre la stratégie subtile de sa camarade, du moins s'il y en avait une, et se jeta sous le lit. L'espace était étroit, poussiéreux et à moitié dissimulé par les draps malodorants jetés sur le fin matelas, mais la cachette ferait largement l'affaire. Il bénit Jade pour sa vivacité d'esprit et retint sons souffle, plus par inquiétude de ne pas l'avoir sous les yeux que pour être plus discret.

La porte s'ouvrit et un flot de voix s'engouffra dans le couloir. Il était impossible de deviner combien de personnes venaient d'entrer : quatre ? Cinq ? Ou peut-être deux ? Tom se terra au fond de sa cachette et regarda les pieds des nouveaux venus passer devant sa cellule. Il serra dans sa main la clef du MJ qui venait de s'échapper de son gilet, l'empêchant de justesse de tinter sur le sol, et écouta.

̶   T'es sûr de toi, Loïs ? demanda une grosse voix plus forte que les autres.

̶   Je sais reconnaître un Loup quand j'en voix un... cracha quelqu'un d'autre.

̶   J'attends les preuves.

Il y eut un bruit de clef, celui d'une serrure qui se déverrouille puis le grincement d'une porte que l'on fait coulisser. S'ensuivit un tintement cristallin que Tom eut du mal à identifier.

̶   J'ai trouvé celui-ci sur elle, reprit la seconde voix.

̶   Et alors ?

̶   Et alors ?! Il n'y a que les Loups qui portent ce genre de collier !

L'image des plaques militaires que Tom avait vu dans la deuxième cellule lui revint soudain en mémoire : ils devaient probablement parler de ça. Mais... Pourquoi ?

̶   C'est pas parc'que les deux premiers étaient des Loups...

̶   ... Les deux seuls Loups, le coupa l'autre. Puis j'ai trouvé celui-ci sur Syrinailla. Donc Syrinailla en est un.

L'autre ne répondit pas. Un silence pesant tomba sur le petit groupe.

̶   Et vous savez ce que ça veut dire ? reprit Loïs. Il ne reste plus qu'un seul Loup. Et peut-être même qu'il est ici...

̶   Tu déconnes, Loïs.

̶   Une lettre, deux chiffres. C'est clair que c'est un numéro de porte. Il reste encore un chiffre à trouver, soit un putain de Loup à tuer.

̶   Et ensuite ? s'interrogea une voix d'enfant. Comment on fera pour ouvrir la porte ?

̶   J'en ai rien à foutre de la porte ! ricana Loïs. Je veux juste les buter un à un. Après ça, on sera tous libres.

Tom étouffait. En sueur, il desserra lentement le col de son gilet : la clef du MJ en tomba, retenue par la chaîne sur laquelle elle était enfilée. L'adolescent fronça les sourcils. Son autre main était toujours fermée sur ce qu'il pensait être la fameuse clef... Alors, qu'avait-il entre les doigts ? Dubitatif, il ouvrit lentement le poing.

C'était une plaque militaire. Quelque chose y était gravé. Le chiffre 6.

ThiercelieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant