* Chapitre 8 *

841 168 89
                                    

Tom marchait dans l'obscurité. Il ne voyait rien autour de lui, mis à part les ombres étranges qui fuyaient à son approche. Il ignorait où il était. Ce qu'il faisait. Ce qu'il comptait faire. Il ne voyait même pas où il allait. Pourtant il continuait à avancer dans ce lieu au paysage indiscernable.

Il se sentait guidé. Il ne savait pas par qui, ni même par quoi... Il était comme poussé en avant par une force étrange. Quelque chose qui se pressait contre ses omoplates et ne lui laissait pas le choix de faire demi-tour. Il se tourna rapidement, curieux de voir ce qu'il laissait derrière lui.

Une ombre immense suivait ses pas. Ce devait être un homme, grand, les mains dans les poches, habillé d'une veste à capuche qui floutait sa silhouette. Il portait un masque de loup gris qui semblait presque lui sourire : un sourire malsain, carnassier, pernicieux. Il fixait Tom depuis les orbites sombres de son masque, silencieux.

̶ Avance, Tom ! l'encouragea-t-il alors. Il te reste encore du chemin à faire avant de me semer.

Le jeune homme n'en attendait pas plus. Il se détourna de l'homme et bondit en avant. Il courut, il ne sut combien de temps : assez pour semer l'homme, mais pas assez pour s'épuiser. Au contraire, il avait l'impression de toujours courir plus vite. Derrière lui, la silhouette de l'homme s'était muée en une ombre plus effrayante encore. Elle avait pris Tom en chasse et se rapprochait dangereusement de lui, se glissant entre les pointes acérées qui s'extirpaient petit à petit des ténèbres du décor.

Le sol se froissait sous ses semelles et devenait de plus en plus glissant. Il avait l'impression que la terre elle-même s'était mise en tête de le ralentir. Ses pieds devenaient lourds, chargés de terre et de fatigue, et le souffle commençait à lui manquer. Il se sentait faiblir foulée après foulée. Autour de lui, un paysage commençait à se dessiner : il devait trouver un endroit où se cacher. Vite.

Il tourna furtivement la tête pour surveiller ses arrières. L'ombre avait disparu. Il ne restait plus qu'une brume obscure et les branchages noirâtres des arbres qui apparaissaient aux alentours du chemin. Il faisait encore sombre mais Tom y voyait assez pour constater que son poursuivant n'était définitivement plus à ses trousses.

Quelque chose s'accrocha à son pied. Une branche ? Un caillou ? Tom n'eut pas le temps d'y songer qu'il s'envolait, emporté par sa course. Il s'envola haut, tellement haut qu'il craignit de pas pouvoir survivre à sa chute. Terrifié, il ferma les yeux.

Tom se réveilla en sursaut, trempé de sueur. Un mal de crâne carabiné lui clouait les paupières et il ne pouvait même pas bouger tant ses membres le faisaient souffrir. Il était en miettes. Cauchemarder ne lui réussissait décidément pas : à force de gigoter toute la nuit, il finissait toujours courbaturé et migraineux. Et lui qui voulait dormir... Il aurait dû enchaîner une autre nuit blanche. Il aurait bien fini par s'endormir tout seul.

Une goutte s'écrasa sur le front du garçon. Il sursauta. Une goutte ? Il avait plu, cette nuit ? Si c'était le cas, il n'allait pas tarder à se prendre une douche : vu l'état de la toiture, une fuite était probablement déjà entrain de grignoter le plafond. Ça devait faire six bons mois que sa mère était sensée appeler quelqu'un pour réparer ce trou, mais... Tom aurait eu le temps de se faire assommer par un parpaing de plâtre cent fois avant qu'elle décroche le téléphone. Il ne restait plus qu'à recouvrir le frigo de post-it, une fois de plus...

Deuxième goutte. l'adolescent grommela en cherchant sa couverture à tâtons. Sa paume retourna un parterre de feuilles humides dont l'une d'entre elle resta accrochée à ses doigts. Quoi...? Il se redressa partiellement, sonné, ensommeillé, et se frotta les yeux : sa main était trempée et laissa une sensation humide sur son visage. Il cligna des paupières. Il n'y comprenait plus rien.

La vue commençait à lui revenir. Une pâle lumière aux tons de vert tombait depuis les branchages serrés de la forêt ; les troncs des arbres s'élevaient au milieux de la brume matinale, retournant de leurs larges racines la terre à l'odeur d'humus. L'aura mordorée des pollens qui flottaient autour de Tom laissaient entendre que le soleil commençait tout juste à poindre : il ne devait pas être 7h00. L'humidité nocturne retombait à peine, parant les premiers bourgeons d'un voile de gouttelettes.

... Mais qu'est-ce qu'il foutait là ? Dans la forêt ? À l'aube ? Avait-il passé la nuit ici ? Tom reconnaissait parfaitement les terrains forestiers qui entouraient sa maison, mais cela ne lui expliquait pas ce qu'il fichait ici. Il n'avait pas le moindre souvenir d'être sorti de chez lui et n'avait pas le sentiment d'avoir été traîné jusque là. C'était comme s'il était venu ici de son plein gré pour finalement s'écraser dans ce parterre de feuilles et y dormir paisiblement (ou presque). Pourquoi ? Tom n'en savait strictement rien.

Il trouva la force de se hisser sur ses chevilles puis de se relever, chancelant. Il était épuisé. Sa maison n'était pas loin mais le retour risquait d'être long, d'autant plus que ses chaussures étaient trempées et lourdes de terres. Mais bon sang, où était-il allé traîner ? Il pesta et baissa les yeux vers ses vieilles baskets, le sourcil levé.

Elles avaient viré au rouge, imbibées d'un épais liquide carmin.

Tom se sentit pâlir. Il fit glisser son regard jusqu'à ses doigts, puis le long de ses mains.

Elles étaient rouges. L'odeur métallique qu'elles diffusaient était insupportable.

Tom se mit à trembler. Il fouilla des yeux la forêt en plein éveil : d'où venait tout ce sang ? Pourquoi en était-il recouvert ? Qu'est-ce qu'il fichait ici, à la fin ?!

Il perçu un grognement à quelques pas derrière lui. La queue rousse d'un renard dépassait des fourrées, s'agitant pour faire fuir les oiseaux et autres vermines qui voulaient profiter de son repas. L'animal sentit le regard du garçon peser sur lui : il leva la tête vers le jeune homme, le museau recouvert de sang, baissa les oreilles et s'enfuit derrière un tronc mort. Tom s'avança prudemment vers les fourrées, laissant derrière lui les feuilles sanguinolentes de son matelas de fortune.

Le corps d'un homme avait été abandonné au milieux d'un massif de jeunes ronces. Il avait les yeux et la bouche grands ouverts, figés en un dernier cri de terreur, et la gorge découpée d'une oreille à l'autre. Son ventre avait été lacéré à coup de couteau. Haché. Déchiqueté avec une hargne qui ne semblait presque plus humaine.

Tom s'écarta lentement. Un pas. Puis deux. La main bleutée de l'homme sortait des fourrées, comme pour lui rappeler qu'il ne lui suffisait pas de reculer pour que le corps disparaisse.

L'odeur de mort. Le cadavre. Le sang qui coulait sur ses mains.

Tout était bien réel.

ThiercelieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant