CHAPITRE 1 : un éclat de lumière et deux nuits bien trop courtes

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D'ordinaire, après une nuit si courte, le manque de sommeil mettait Rémus de mauvaise humeur ; mais là, il était juste abruti d'épuisement. Les cours étaient plus ennuyeux que jamais alors que la fin de l'année approchait et il avait manqué plusieurs fois de piquer du nez, bercé par le discours monotone des professeurs.

Malgré sa fatigue, le jeune homme savait qu'il avait entre ses mains la seule chose qui pourrait le rassénerer. Il saisit la corde épaisse et l'enroula d'une main experte autour du large tronc. Fixant solidement le noeud à l'aide du bec en acier, il appuya plusieurs fois sa main sur la corde vibrante afin de tester la sûreté de son entreprise. Ayant acquis la certitude que ça ne casserait pas sous son poids, il esquissa un sourire satisfait quoique pâle et balaya du regard l'endroit où il se trouvait.

Il était debout, sur un rond point au milieu d'une rue peu fréquentée. Il n'y avait que quelques voitures, à peine une toutes les demie-heures, une maison de retraite en face et une vieille grange abandonnée. Il venait ici car il n'y avait pas beaucoup de monde, et que le rond point, à part son herbe si verte, arborait deux arbres solides, avec une large branche à hauteur d'homme assurant que la corde ne glisserait pas. Il fallait le comprendre : la forêt était à l'autre bout de la ville, et il ne tenait pas à croiser des gens de son lycée pendant qu'il se tenait en équilibre sur sa corde. Seul son meilleur ami Antonio était au courant de sa passion pour le funambulisme, et il tenait à ce que ce secret en reste un.

Tout était prêt, mais le garçon, au moment de monter sur sa corde, suspendit son mouvement. Ses jambes flageolèrent et, secoué de tremblements, il s'assit sur le fil frémissant. La tête entre les mains, ses pensées se bousculaient dans son crâne, et un brouillard se déposait peu à peu sur lui, l'isolant du monde, des voitures qui passaient, du soir qui tombait. Son accès d'épuisement ne dura heureusement que quelques minutes et il put se relever. Cela lui arrivait fréquemment – trop à son goût – lorsqu'il ne dormait pas assez.

Après avoir déposé son petit piédestal devant sa corde, il grimpa dessus posa son pied avec précaution. S'aidant de ses bras afin de garder l'équilibre, il souleva lentement son autre jambe, la plaça, et ajusta ses talons. En crispant les orteils, il avança doucement, se dirigeant vers l'autre arbre. Et, comme toujours lorsqu'il se tenait sur son fil, il sentit ses problèmes et sa fatigue se disperser dans l'air environnant, et un calme formidable se déposa sur ses pensées.

Il fit plusieurs aller-retours sans se tromper, et son cœur s'emballa lorsqu'il se rendit compte qu'en tenant encore durant quelques mètres, il battrait son record personnel. Tâchant de garder son calme malgré son excitation croissante, il ne pût s'empêcher toutefois de compter les mètres. Plus que huit... sept... six... cinq...

A quatre mètres seulement de son record, son pied gauche dérapa d'un demi-centimètre et, battant désespérément des bras, il jeta un regard affolé autour de lui. Son œil accrocha soudain un éclat de lumière et cela suffit à le faire basculer. Il se réceptionna à genoux, et une douleur fulgurante remonta dans toute sa cuisse, lui mettant les larmes aux yeux.

A la fois furieux et honteux, il se releva avec un gémissement. Sa jambe le lançait terriblement, et il songea attristé que la corde, c'était fini pour aujourd'hui. Il décida de laisser ses installations ici, il était trop fatigué pour tout remettre en place. De toute façon, il reviendrait sûrement le lendemain.

En récupérant ses chaussures, il chercha du regard l'éclat de lumière sournois qui l'avait déstabilisé. Il le retrouva sous la forme d'une montre. A première vue, elle semblait en or. Vieille et cabossée, elle se trouvait sur une fenêtre du premier étage de la maison de retraite.

En remontant des yeux le bras que la montre ornait, il trouva une épaule saillante, dénudée par un débardeur, un cou gracile, et un visage dirigé vers lui.

le funambuleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant