LA FUITE (1)

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Je cours ! Je saute ! Je vole !

Et je m'écrase violemment contre l'asphalte.

J'espère que personne n'a assisté à cette merveilleuse chute, je vois déjà les gros titres dans les journaux : LA FAUCHEUSE MANGE L'ASPHALTE !

La dévore, oui !

Mais tu es bête Naëlle ! Personne ne sait que tu es la faucheuse ...

Tant mieux, ils auraient été déçus !

Eh non messieurs, la faucheuse n'est pas un homme puissant ; c'est une femme qui contrôle le monde !

Eh non chers admirateurs de l'au-delà, je ne suis pas bien grosse mais de là à me comparer à un squelette ...

Et non chers et tendres autres gens, je n'ai pas de liste, je ne viens pas quand votre heure est venue – je viens quand bon me semble –,et je ne suis pas née ainsi. J'étais comme vous. Eh oui !

Ah! Et dernier détail ! Je n'ai, à mon grand dam, pas de faux.

Je vous raconterai bien toute l'histoire – je vous sens au bord de la crise de curiosité – mais là je fuis. Je fuis des gens très puissants qui veulent ma mort (oui, oui, la faucheuse a peur de la mort), mais qui ne peuvent pas se montrer comme ça – d'ailleurs moi non plus. Alors le moyen le plus sûr serait dans une maison habitée. J'avais pensé à un grenier ou à une cave, là où les habitants n'iraient pas souvent.

En traversant les ruelles désertes de la ville en courant, je passais devant une maison qui m'était familière. J'y avais réanimé un chiot mort-né pas plus tard qu'avant-hier. Je décidais d'y élire domicile ; ils me devaient bien ça. Et puis j'avais déjà un peu repéré les lieux.

Je montai sur le toit – facile ! – et me glissai dans la cheminée. La maison comprenait deux étages, mais ils ne vivaient qu'au deuxième suite à des inondations ravageuses. Je pouvais donc atterrir au pied de la cheminée, et m'installer dans une chambre inconfortable jusqu'à ... la fin de temps, tiens ! Et pourquoi pas !

Je glisse difficilement dans le conduit plein de suie, laissant quelques morceaux de peau sur mon passage, et rampe sur le dos jusqu'à la sortie, priant pour qu'il n'y ait personne.

Bonjour,je suis la faucheuse qui sort de votre cheminée ! Tu préférais le Père Noël ? Ingrat !

Oui, je me voyais mal leur annoncer de cette manière. Mais heureusement, personne.

J'étais trop fatiguée pour faire toute les chambres, alors j'en choisis une au hasard et entrais à l'intérieur. Elle était couverte de moisissure, délabrée, abandonnée, et une odeur de renfermé avait mangé tout l'oxygène.

Je remarquai tout ça avant de remarquer la fillette qui trônait au centre de la salle, une bougie à la main. Elle ne réagit pas. Moi non plus. Nous nous dévisageâmes longtemps. Elle ne devait pas avoir plus de dix ans. Elle me fixait avec étonnement et satisfaction, de ses petits yeux sombres et son regard aiguisé. Elle avait l'air intelligente, rusée. Je l'aimais déjà.

C'est elle qui rompit le silence, d'une voix timide mais assurée :

«Bonjour, tu es la faucheuse ?

Alors là ! Je m'attendais à tout sauf à ça !

- Euh ... oui.

- Je t'ai vue la dernière fois, pour Pouky.

Comme je ne comprenais pas, elle ajouta :

- Mon chiot.

- Ah oui !

Mais où est passée la Faucheuse ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant